2018 a vu les contrôles sociaux se resserrer tous azimuts.
Le carcan pèse sur les religions : en six mois, trois paroisses protestantes de Pékin, Chengdu et Canton voient leurs temples fermer -à Chengdu, un éminent pasteur est arrêté. Côté Islam, trois mosquées Hui ferment dans le Yunnan, et la Grande Mosquée de Weizhou (Ningxia) n’échappe à la démolition que par la mobilisation de centaines de fidèles. Au Xinjiang se poursuit l’ordre de fer. Clairement, le régime a mis un terme à son implicite tolérance d’hier envers les communautés pratiquant leur foi.
Sur les campus universitaires aussi, l’activisme néo-maoïste pour les droits des migrants et des ouvriers est décimé. À l’université Beida, des étudiants ont été contraints de visionner les vidéos de leurs camarades confessant leur participation à une « organisation illégale, pour encadrer des manifestations … ».
En même temps, diverses voix s’amoncellent, remettant en cause le bilan de plus de six ans sous le mandat de Xi Jinping.
D’abord, contre le risque de panne de croissance : à l’université Renmin le 16 décembre, le professeur Xiang Songzuo conteste le PIB officiel et ose citer un chiffre très bas de 1,67%. Ayant dévissé de 40%, la bourse est comparée à celle de « Wall Street en 1929 ». Wu Jinglian, célèbre économiste de 89 ans avertit « du danger du capitalisme d’Etat. Il ne suffit pas de psalmodier ‘réforme et ouverture’, il faut agir. Des problèmes doivent être réglés et des leçons doivent être tirées ».
Dans ce climat tendu, le 1er ministre Li Keqiang sollicitait mi-janvier l’avis d’experts, du patron d’Alibaba Jack Ma au président de Tsinghua Xue Qikun en passant par le directeur de l’hôpital pédiatrique de Pékin Ni Xin et Wu Dajing, capitaine de l’équipe nationale de patinage de vitesse. Sur l’action du pouvoir vis-à-vis du privé, il veut entendre tous les commentaires, « même ceux qui blessent les oreilles ou poignardent le cœur ». Il veut s’en inspirer dans son rapport d’exercice en mars prochain, devant le Parlement. Mais la démarche de Li Keqiang peut paraître ambiguë, ressemblant à la campagne des Cent Fleurs de Mao en 1957 pour débusquer les ennemis du régime.
Moins souple, le 16 janvier, le chef de l’Etat admonestait l’influente Commission Politique et Légale (zhengfawei) qui supervise la Procurature, les juges, la police et les services secrets. Xi leur ordonnait de mieux protéger à l’avenir les intérêts chinois et les citoyens à l’étranger – c’était une allusion claire à Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei arrêtée au Canada, et à l’attentat de décembre contre le consulat chinois à Karachi (Pakistan).
Xi leur intimait aussi de « retourner le couteau contre eux-mêmes, extraire le poison dans leurs veines et éradiquer les moutons noirs ». C’est la campagne anti-corruption qui se poursuit : le secrétaire du Parti au Shaanxi Zhao Zhengyong est le 1er « tigre » arrêté en 2019. Une affaire liée à celle de Zhao, pourrait même entraîner la chute du Président de la Cour Suprême, Zhou Qiang.
En même temps, Qiushi, magazine du Parti, publie un article de la plume de Xi Jinping, appelant l’appareil à promouvoir des « cadres de haute qualité », compétents et loyaux envers lui-même.
Le 17 janvier, c’était au tour de Zhao Kezhi, fidèle de Xi à la tête du ministère de la Sécurité Publique, d’avertir contre le risque de « révolutions de couleurs » – ces soulèvements populaires qui ont secoué la Tunisie ou l’Ukraine lors de la dernière décennie. L’avertissement prend un sens spécial, à cinq mois du 30ème anniversaire du printemps de Tiananmen.
Point d’orgue de ce mois de janvier : le 21, à l’Ecole du Parti, se sont tenus quatre jours d’études, démentant ainsi les rumeurs qui prévoyaient un 4ème Plenum du Parti. Y assistaient, le Bureau Politique au complet (sauf Wang Qishan, à Davos), dirigeants provinciaux, ministres, généraux, et inspecteurs de la discipline.
Face à eux, un Xi Jinping fidèle à son vocabulaire animalier, a énuméré une longue liste de « risques interconnectés », qui se sont intensifiés en 2018 : « cygnes noirs » (événements imprévus), et « rhinocéros gris » – menaces prévisibles mais restées ignorées. Xi a relevé la situation internationale incertaine, le chômage, la menace d’éclatement de la bulle immobilière. Il déclare vouloir renforcer la supervision des sciences et technologies, améliorer la stratégie BRI, poursuivre l’étude du marxisme par les cadres, et la reprise de « l’expérience de Fengqiao » – action maoïste qui avait consisté en 1963 à monter les citoyens les uns contre les autres, afin de briser l’unité de groupes dissidents ou religieux.
Si tous ses thèmes sont connus, la tenue de ce long meeting national, est inhabituelle, dans une atmosphère pesante, résumée par cette brève formule de Xi dans son discours : « Attendez vous au pire » ! Xi signale à son équipe l’ampleur de la crise à laquelle le régime fait face : une crise exacerbée par le ralentissement économique et la guerre commerciale sino-américaine, à la fois déclencheur et révélateur de risques pour la stabilité du Parti. Xi pourrait aussi utiliser cette réunion pour justifier les concessions que la Chine sera amenée à faire pour mettre fin au conflit commercial avec les Etats-Unis, avant la fin de la trêve décrétée par Trump au 1er mars. Ces concessions seront-elles suffisantes ? Il est trop tôt pour le dire…
1 Commentaire
severy
26 janvier 2019 à 17:31Top notch article. Chapeau; c’est du Bruges.