Nombre d’observateurs sont enclins à crier au loup lorsqu’ils parlent de l’immobilier chinois : « les promoteurs vont s’effondrer, les propriétaires vont se révolter, les banques vont faire faillite, le système financier mondial risque de vaciller … ». Faut-il donner raison à ces Cassandre ?
D’abord, si l’immobilier chinois est en crise, c’est parce que l’État, bien conscient du risque de bulle (qui ne l’avait pas vue venir ?), a décidé de nettoyer le secteur avant que la bulle n’éclate. Ce que le pouvoir veut, c’est faire disparaître les entreprises les plus faibles, comprendre celles ne pouvant plus recourir à l’emprunt du fait des nouvelles règles prudentielles qu’il a lui-même arrêtées (les fameuses trois « lignes rouges »). Depuis 1998, date de la privatisation de l’immobilier, l’État chinois a choisi de donner mandat au secteur privé pour développer l’immobilier, mais il est actuellement en train de le retirer aux canards boiteux. Tout naturellement, ce recadrage a fait émerger un certain nombre de cas à problème : d’abord Evergrande, et plus récemment Country Garden. D’autres acteurs moins connus ont aussi montré des signes de faiblesse comme Fantasia, Sinic, Kaisa, China Modern Land, Sunac et Shimao. Et on va sans doute voir d’autres faillites. Faut-il donc s’en inquiéter ? Pour ces entreprises, évidemment. Pour le reste de l’économie, pas nécessairement…
On peut d’ores et déjà évacuer le scénario de type Lehman Brothers parce que le cas est sino-chinois. Les terrains sont sous le contrôle des collectivités locales chinoises. Les développements sont faits par des promoteurs chinois. L’immobilier est acheté par des Chinois. Les constructeurs sont des entreprises chinoises et le secteur est financé par des banques chinoises qui n’ont que très peu emprunté à l’étranger. Soyons clair, sur les 260 milliards d’euros de dettes du promoteur Evergrande, moins de 20 viennent de l’étranger. Mauvaise nouvelle pour ces investisseurs étrangers qui ont prêté à Evergrande et aux autres promoteurs aux abois. Est-ce pour autant que le système financier mondial va vaciller ?
Ensuite, quid du reste de la filière, les entreprises de construction, les fournisseurs d’équipements et de matières premières ? Ils savent depuis longtemps que le vent a tourné et que les citoyens chinois ont bien assez de mètres carrés pour se loger. Rappelons tout de même que la population urbaine chinoise a doublé entre 1998 et 2021 et que le pourcentage de propriétaires est parmi les plus élevés au monde. Les entreprises de la filière les plus avisées ont entrepris de se diversifier à l’étranger avec ou sans l’aide des « nouvelles routes de la soie ». Certaines y sont parvenues avec succès. D’autres vont continuer à travailler en Chine. Les plus fragiles feront faillite. La chute pourrait tout de même avoir un impact sur les marchés de matières premières (aluminium, cuivre, charbon …).
Quid des actionnaires ? Certes, ils vont perdre de l’argent, mais ils en avaient tellement gagné auparavant qu’ils seront difficiles à plaindre.
Quid des banques ? Des banques privées comme Minsheng qui ont beaucoup prêté au secteur immobilier, sont effectivement en peine. Les autres banques, qui sont toutes publiques, seront soutenues par le système étatique. En Chine, on reste en famille ; les banquiers aiment à dire que c’est maman qui prête à papa.
Quid des propriétaires, victimes des promoteurs au bord de la faillite ? Le nombre d’appartements non achevés – environ un million –, peut sembler élevé vu de France. Si l’on fait l’hypothèse que ce sont des couples qui achètent, ce sont donc deux millions de Chinois mécontents – soit bien moins en proportion que ce qu’ont représenté les gilets jaunes dans la population française. Ils sont donc trop peu nombreux, et trop peu puissants pour provoquer la chute du système. Les acteurs sociaux en Chine ne se coalisent pas comme en Occident. Ils vont faire du bruit localement. Ils vont continuer la grève des remboursements jusqu’à ce qu’ils soient calmés financièrement par les aides des autorités locales.
Quid des promoteurs ? Cette crise n’est pas une menace pour tous et c’est au contraire une opportunité pour ceux sont dans les clous en matière d’endettement. Ceux qui sont à la peine cherchent à rééchelonner leur dette, mais surtout bradent leurs actifs pour tenter de se remettre à flot. Les promoteurs les plus agiles tireront alors profit de la détresse de leurs concurrents au bord de la ruine.
Est-ce du cynisme ? Non, c’est juste la théorie de l’évolution appliquée aux entreprises. Il y a des entreprises qui se développent, d’autres qui font faillite. Rien de plus normal. Reste que le pouvoir chinois va devoir trouver une activité de substitution si la baisse de l’immobilier devait se poursuivre.
Par Dominique Jolly, conseil en stratégie.
Son dernier ouvrage « The Chinese Financial System: sino-centricity and orchestrated control » est sorti en décembre 2023 chez World Scientific.
2 Commentaires
jeremie
29 janvier 2024 à 16:30Merci pour cet article qui relativise un peu les enjeux de la crise immobilière chinoise. Globalement vous avez raison sur le fait qu’il y a encore un avenir pour l’immobilier chinois, ne serait-ce que du fait de la nécessité de poursuivre la modernisation urbaine dans un grand nombre de localités encore peu urbanisées en Chine. Cependant, il faut se demander si la crise immobilière ne serait pas, tout de même, la partie émergée de l’iceberg, eu égard à l’endettement des collectivités, bien plus conséquent et problématique pour l’économie que celui des promoteurs. Par ailleurs, il semblerait que la date de libéralisation du marché immobilier soit 1988, date de modification de la Constitution à cet effet, et non 1998 (même si la mise en application concrète est venue plus tard, effectivement).
severy
1 février 2024 à 18:06Décidément, à force de faire appel à des experts et à des collaborateurs de talent pour son élaboration, le Vent va finir par devenir une sorte de Monde centré sur la Chine, au tirage pantagruélique et au succès international. La route du succès est toute tracée et, comme disait Nougaro, « quand le ciel n’est pas bleu, alors c’est qu’il est rose ». Je bois à votre réussite.