Nous sommes à un moment de l’année où, par réflexe confucéen autant qu’idéologique, le gouvernement voudrait être plus proche des masses, et bravant la crise, multiplie les gestes souriants.
Ainsi 31.527 condamnés viennent d’être amnistiés, pour la plupart des jeunes ayant fauté avant 18 ans et écopé de moins de 3 ans de prison… Non sans ingénuité, l’Agence Xinhua s’est efforcée de rassurer les âmes sensibles craignant cette relâche dans la nature d’armées de cambrioleurs ou faussaires : les libérables ont été sélectionnés par non moins de 2500 commissions, et leur nombre reste infime, rapporté aux 1,4 million de la population carcérale globale !
Autre douceur pour le petit peuple : le 27 janvier, la Banque Centrale émet 350 milliards de ¥, pour financer les fêtes, fournir les marchés et permettre aux patrons de payer à temps salaires et bonus. La mesure sert aussi de substitut aux coupes des réserves bancaires : redoutant une « boule de neige » de prêts irrécupérables, les maisons de crédit se montrent réticentes à puiser dans ces bas de laine…
Que se prépare-t-il pour l’an 2016, sous l’année du Singe de feu ? Mille rumeurs circulent, tissées de bonnes intentions, pour satisfaire la fierté nationale des masses.
20 missions spatiales décolleront, confirmant la « montée sur orbite » du pays dans l’espace. Parmi celles-ci compteront le lancement du vaisseau Shenzhou XI, celui de satellites de Beidou (du réseau GPS chinois), et de divers outils préparatoires à une station lunaire et à une mission martienne. Pour la grande fierté de l’homme de la rue !
Toujours pour le moral populaire, de grands efforts sont faits pour améliorer le niveau du football chinois. Émis en 2015 par Xi Jinping, le plan national en 50 points prévoit de mettre au programme le football dans 50 000 écoles d’ici 2020. Dans le privé, Citic Capital et China Media Capital ont racheté ensemble fin novembre 13% du CFG, club de Manchester, coté à plus d’un milliard d’euros.
Ouvrant à travers le monde son réseau d’académies éponymes, le mythique joueur brésilien Ronaldo n’a pas oublié la Chine : dès 2016 ouvriront 3 écoles, à Pékin, Shanghai et Mianyang (Sichuan), avec 12 entraîneurs de son pays, au coût de 8000 yuans par an, par enfant. D’ici 2017, elles devraient être 30 à travers le pays.
Ces efforts n’ont pas encore porté leurs fruits : l’entraîneur français Alain Perrin vient d’être remercié –c’est la règle du jeu– faute d’avoir réussi à porter son 11 national au-delà du cap des éliminatoires à la Coupe du monde de 2018 en Russie. La surprise pourrait venir d’un autre Français, Jérôme Champagne, candidat-président de la FIFA, qui évoque la possibilité d’une « disqualification » du Qatar comme pays-hôte en 2022 (suite aux irrégularités ayant entaché son attribution), et une nouvelle chance pour la Chine, d’accueillir l’épreuve-reine dès 2026…
La plus récente manœuvre est peut-être la plus forte : afin d’attirer davantage de talents étrangers vers les clubs chinois, un vice-président de l’Association nationale du football envisage de leur offrir lanationalité, en plus des énormes salaires et de nombreux avantages en nature. On ignore si l’ivoirien Gervinho, transféré pour trois ans au Hebei Fortune FC, s’est vu offrir la naturalisation—mais son club d’origine, l’AS Roma touchera au bas mot 18 millions d’euros.
Au chapitre des visas, d’autres mesures sont testées dès cette semaine : à Pékin, au titre du regroupement familial, les membres de famille d’un (ou une) ressortissant(e) chinois(e) auront un visa de 2 ans renouvelable, mais sans possibilité de travailler. De même, le visa de 72 heures aux voyageurs en transit à Shanghai, Nankin et Hangzhou, double à 144 heures (six jours). Le but avoué est intéressant : il s’agit, pour le professeur Lu Hanlong de l’Académie des Sciences Sociales de « renforcer l’envergure internationale » de Shanghai. Cette initiative sera évidemment insuffisante en soi pour porter la ville à une aura internationale digne d’un Londres ou d’un New York.
2016 sera aussi l’année de réformes tous azimuts, fruit de l’évolution technologique, ou de l’effet de mode. Les tribunaux testent WeChat, la messagerie instantanée grand public, comme canal des témoignages lors des procès, d’un bout à l’autre du pays. Ils en espèrent des procès de meilleure qualité, à moindre coût et moindre perte de temps. Le problème non résolu est juridique : comment garantir au juge que le témoin est bien celui qu’il prétend être ?
La Banque Centrale de son côté, prépare, contre toute attente, l’introduction « le plus tôt possible » d’une monnaie digitale du style du Bitcoin, moyen anonyme de paiement encrypté par ordinateur. Elle fait volte-face par rapport à 2013, où elle bannissait cette devise virtuelle. Elle en attend un frein à la domination du dollar et à la fuite des capitaux—dont elle contrôlerait ainsi mieux de mouvements.
Autre modernisation imminente : Chen Xiwen, n°2 au groupe directeur des affaires rurales du PCC, annonce la dérégulation du marché des céréales, qui devraient dès lors être achetées selon la loi de l’offre et de la demande. C’est potentiellement une annonce très forte, car le maïs chinois coûte 7,5$ le boisseau (25,4 kgs), contre 3,69$ (près de la moitié) sur le marché de Chicago – le paysan chinois trop subventionné n’a aucun incitatif à produire mieux et moins cher. La récolte 2015 s’élèvera à 620 millions de tonnes, 20 millions de plus qu’en 2014. Les réserves publiques sont estimées à 500 millions de tonnes, dont 200 millions en maïs, qui se dégradent au fil des années. Il est donc plus que temps de réagir. Chen Xiwen ne donne toutefois aucune date : pour cette transition qui bouleversera toutes les pratiques, des années seront nécessaires.
Sommaire N° 4 (2016)