Il n’est pas encore intronisé à la Maison Blanche, mais le Président élu américain fait déjà parler de lui. C’est par l’intermédiaire de sa nouvelle attachée de presse que l’on a appris que Donald Trump avait invité plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement à assister à sa cérémonie d’investiture prévue le 20 janvier prochain. La démarche est pour le moins atypique : aucun dirigeant étranger n’a assisté à une cérémonie de passation de pouvoir aux États-Unis depuis 1874. Auraient déjà reçu un RSVP : le Président hongrois Viktor Orban, l’un des plus fervents partisans de Trump sur la scène internationale, le Président argentin ultralibéral, Javier Milei, la Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, et plus surprenant, le Secrétaire général du Parti Communiste chinois, Xi Jinping.
Il y a pourtant très peu de chances que ce scénario se concrétise, du moins, en présence du leader chinois. Il suffit simplement d’imaginer Xi Jinping, patientant sagement sur les marches de la tribune d’honneur du Capitole, en plein mois de janvier, entouré de membres du Congrès dont l’hostilité envers son pays n’est plus à démontrer, assistant à une passation démocratique des pouvoirs d’un président américain à un autre, pour prédire que l’invitation sera déclinée. Afin d’éviter de froisser Washington, Xi pourrait envoyer à sa place son vice-président, Han Zheng, ou alors son ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, à une cérémonie où les pays partenaires sont habituellement représentés par leurs chefs de mission diplomatique.
En temps normal, Pékin exige que chaque visite du leader chinois à Washington soit considérée comme une visite d’Etat, avec tout le faste que cela implique. Ainsi, la dernière visite officielle de Xi Jinping aux USA avait nécessité de longs mois de préparatifs, tant par souci de préserver son image que d’assurer sa sécurité.
Au-delà des contraintes protocolaires, il est clair que pour Pékin, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Imaginons que Xi se décide à assister à l’ « Inauguration Day » et que le lendemain, Trump augmente les droits de douane sur tous les produits chinois à 60% – comme il a promis de le faire -, ce serait une perte de face immense pour le dirigeant chinois.
Alors, simple coup de bluff de la part de Trump pour amener la Chine à négocier ou menace réelle ? Nul ne le sait à ce stade… Cela n’empêche pas Pékin de se préparer à tous les scénarios éventuels et surtout à répliquer si Trump joignait l’acte à la parole. Ces derniers jours, le gouvernement chinois a annoncé qu’il ne délivrera plus de licences d’exportation de certains métaux rares, comme le gallium et le germanium, vers les Etats-Unis. Dans la foulée, le régulateur chinois des marchés (SAMR) a ouvert une enquête sur le géant américain des puces, Nvidia, pour violation présumée de la loi antimonopole.
Ces actions sont autant une réponse aux dernières restrictions de l’exportation vers la Chine de semi-conducteurs américains décrétées par l’administration Biden, qu’une manière de signifier à la future administration Trump que la Chine n’est pas prête à se faire marcher sur les pieds et qu’elle est mieux préparée pour une guerre commerciale et technologique avec les Etats-Unis que lors de son 1er mandat.
Mais est-ce vraiment le cas ? Au plan commercial du moins, les options pour compenser les effets d’une éventuelle augmentation des droits de douane sont bien plus limitées à présent. A l’époque, Pékin avait significativement dévalué son yuan pour rendre les produits chinois moins chers à l’exportation. Aujourd’hui, le yuan est déjà particulièrement bas. La marge de manœuvre de Pékin est donc beaucoup plus réduite. En outre, Trump a également promis de taxer les pays tiers utilisés par la Chine pour contourner les tarifs douaniers et réacheminer ses marchandises vers les Etats-Unis.
Paradoxalement peut-être, Xi Jinping a envoyé un signal fort en début de semaine à Washington en affirmant dans un courrier adressé à l’U.S.-China Business Council, être « prêt à travailler avec Donald Trump pour résoudre les différends commerciaux ». Le fait que cette main tendue ait eu lieu de manière très publique laisse transparaître une certaine inquiétude du côté chinois, apparemment désireux d’établir au plus vite des canaux de communication avec la nouvelle administration Trump – sans succès jusqu’à présent.
Au final, ces déclarations de bonne volonté ne coûtent rien à la Chine. Au contraire, elles lui permettront de revendiquer une position de supériorité morale afin de prouver au reste du monde que c’est bien Washington qui a rejeté en premier la voie de la coopération et du compromis. C’est peut-être également le but de l’invitation surprise de Trump… Une chose est sûre : entre Pékin et Washington, le jeu de dupes a déjà commencé.
Sommaire N° 39-40 (2024)