L’embellie sino-australienne aura été de courte durée. On se souvient qu’à la suite de l’appel de Canberra pour une enquête internationale sur les origines de la pandémie de COVID-19 en 2020, la Chine avait imposé des droits de douanes prohibitifs visant la plupart des exportations australiennes. La levée de ses sanctions et restrictions depuis 2022 a permis une relance des échanges commerciaux : les importations chinoises en provenance d’Australie ont augmenté de 12 % sur un an en octobre. Enfin, début novembre, le Premier ministre australien Anthony Albanese a rencontré son homologue chinois Li Qiang à Pékin, pour relancer le dialogue annuel des dirigeants, sept ans après qu’un différend diplomatique eut mis un terme à leurs réunions annuelles.
Selon Li Qiang, la Chine est disposée à travailler avec l’Australie pour renforcer le dialogue, approfondir la confiance mutuelle, gérer correctement les différends et développer les relations bilatérales. « Le potentiel de coopération entre la Chine et l’Australie est énorme », a-t-il affirmé.
Reprenant le fameux slogan du « win-win », le Président Xi Jinping a déclaré que des relations stables entre Pékin et Canberra servaient les intérêts des deux pays, en envoyant ainsi un « signal clair » que la Chine était prête à sortir des tensions récentes.
Le jeu d’équilibriste de l’Australie consiste à chercher à relancer les échanges commerciaux tout en reconnaissant une différence géopolitique majeure : « Même s’il existe des différences entre nous, l’Australie et la Chine bénéficient toutes deux de la coopération et du dialogue » a ainsi déclaré Albanese.
La Chine, de son côté, vise à pacifier ses relations régionales afin de défaire l’influence grandissante des Etats-Unis sur des pays riverains de plus en plus inquiets des ambitions géopolitiques de Pékin et de moins en moins dépendants de son marché intérieur. La formule utilisée par la Chine en ce moment est celle qu’a choisi Xi Jinping pour illustrer le renouveau du partenariat avec l’Australie : il s’agit d’éviter la « politique de blocs ».
C’est qu’en effet, Pékin s’est fait une spécialité des relations bilatérales « séparées » et voit d’un mauvais œil les rapprochements entre pays tiers qui les sortiraient d’une vassalisation programmée. En outre, l’Australie se situe pour la Chine au cœur de sa stratégie globale de l’Océanie et de ses îles-Nations comme les îles Salomon, désormais placées sous l’emprise financière et sécuritaire de Pékin. C’est pourquoi Xi Jinping a affirmé que son pays est « prêt à davantage de coopération trilatérale et multilatérale avec l’Australie pour aider les pays du Pacifique Sud à renforcer leur résilience en matière de développement, changement climatique et autres défis ».
Cependant deux semaines après ces retrouvailles prometteuses d’une éclaircie sur le front sino-australien des échanges, un incident est venu apporter une note disharmonieuse.
Le 20 novembre, le destroyer chinois CNS Ningbo a fait fonctionner son sonar tandis que des plongeurs de la marine australienne étaient sous l’eau pour tenter de dégager les filets de pêche qui emmêlaient les hélices de leur navire HMAS Toowoomba. Et cela alors même que le Toowoomba a informé le Ningbo que des opérations de plongée étaient en cours, mettant les plongeurs en danger et les forçant à sortir de l’eau et que l’opération se déroulait dans la Zone Economique Exclusive (ZEE) du Japon. Ainsi, le lendemain, le Premier ministre Anthony Albanese lui-même a critiqué la Chine pour « une rencontre dangereuse entre des navires de guerre chinois et australiens ». Albanese a expliqué qu’un plongeur australien avait été blessé lorsqu’un destroyer chinois a utilisé un sonar alors qu’il se trouvait à proximité d’une frégate australienne dans les eaux internationales. Albanese a insisté sur le fait que c’était « un incident regrettable », « dangereux et peu professionnel de la part des forces chinoises » qui pourrait « causer des dommages » aux relations de l’Australie avec la Chine.
L’incident en soi n’est pas nouveau. Les militaires américains, canadiens et australiens se sont également plaints à plusieurs reprises « des actions dangereuses de la marine et de l’armée de l’air chinoises » dans le Pacifique occidental que Pékin considère en partie comme sien.
Cependant, le véritable problème vient sans doute moins de l’incident lui-même que de la réaction chinoise qui loin de reconnaître une erreur, une faute ou un manque de jugement a dénié d’abord tout incident : le porte-parole du ministère chinois de la Défense, Wu Qian, ayant rejeté les allégations de l’Australie comme étant « complètement fausses ». Ce démenti de Pékin est systématique lorsque les faits pourraient incriminer la Chine.
Plus encore que le déni, la Chine a contre-attaqué en remettant en cause le récit de l’événement par l’Australie comme étant lui-même la cause du trouble et du déficit de confiance : « Nous exhortons la partie australienne à respecter les faits, à cesser de lancer des accusations imprudentes et irresponsables contre la Chine, à faire davantage pour renforcer la confiance mutuelle entre les deux parties et créer une atmosphère positive pour le développement sain des relations entre les deux pays et les deux armées ».
Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, déclarant que l’armée chinoise était très disciplinée et se conformait au droit international, a même ajouté : « Nous espérons que la partie concernée cessera de semer le trouble aux portes de la Chine et travaillera avec nous pour maintenir conjointement la dynamique d’amélioration et de développement des relations sino-australiennes ».
C’est là aussi une spécialité de la « sharp » diplomatie publique de la Chine : accuser les accusateurs d’être les véritables fauteurs de troubles, blâmer comme perturbateurs ceux qui résistent à sa pression tout azimut.
Une semaine plus tard, le 28 novembre, la Chine a exhorté l’Australie à l’informer des mouvements de sa marine dans les zones « contestées » en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale. Le ton du haut responsable chinois est devenu même menaçant en soulignant qu’« un petit incident entre les armées pourrait dégénérer », exhortant le gouvernement australien à « agir avec une grande prudence ».
Revenant sur l’épisode du sonar et le justifiant maintenant par des raisons de souveraineté, après avoir nié qu’il soit arrivé, Pékin a contre-attaqué en déclarant que la présence des navires de la marine australienne en mer de Chine méridionale constituait une forme de pression géopolitique contre laquelle Pékin ne pouvait que se rebeller : « Les navires de la marine australienne étaient là en réalité pour ‘contenir la Chine’. » La Chine présentant son émergence comme irrésistible, tout frein à celle-ci est dit s’opposer « au sens de l’histoire ». Mais du point de vue de l’Australie, il s’agit de faire respecter la liberté de navigation conformément au droit international dans une zone, la mer de Chine méridionale, où transitent les deux tiers du commerce australien.
Ainsi, malgré le voyage à Pékin d’Albanese et la visite à Sydney (28-30 novembre) de Liu Jianchao, directeur du département international du Comité Central du Parti, les relations sino-australiennes restent tendues (deux investissements dans les terres rares par des entreprises chinoises ont été bloqués par le Conseil d’examen des investissements étrangers cette année) et les différents peinent à être résolus. Alors que la Chine cherche à renouer des alliances, l’incident pose à nouveau la question soit du degré de sincérité de Pékin et de sa duplicité, soit du degré d’autonomie des forces armées et de leur dangerosité. Une telle ambiguïté peut d’ailleurs très bien être choisie pour rendre sa stratégie encore moins lisible pour ses adversaires.
1 Commentaire
severy
7 décembre 2023 à 06:27La RPC tend son filet en mer de Chine méridionale avec la précaution d’un gorille qui épluche une banane.