Politique : Un hiatus qui en dit long

Un hiatus qui en dit long

Alors que débute le mois de décembre, il faut se rendre à l’évidence : le tant attendu 3ème Plénum du 20ème Congrès n’aura fort probablement pas lieu avant le début de 2024. Historiquement, les « troisièmes plénums », qui font directement suite au premier Plénum (durant lequel le leadership du Parti est ajusté) ainsi qu’aux « Deux Sessions » (qui font office de remaniement ministériel au sein du Conseil d’État) – mettent l’accent sur les questions économiques. En fait, on considère que le 3ème Plénum représente le point de consolidation de la nouvelle équipe et la fin de la transition entre l’équipe sortante – soit celle de feu Li Keqiang – et celle de Li Qiang. Normalement, le 3ème Plénum signale également le début de la mise en place de nouvelles stratégies de développement.

Comment alors expliquer ce report d’un rendez-vous politique déterminant ? Cela pourrait être lié aux nominations tardives à la tête de la nouvellement créée Commission Financière Centrale ainsi qu’à la Commission Centrale du Travail Financier. Les tensions qui existent entre le premier ministre Li Qiang – qui « dirige » la première – et le vice-premier en charge des finances, He Lifeng – qui dirige la seconde – jouent nécessairement sur la planification d’un 3ème Plénum, et notamment le fait que Li Qiang se voit relégué à une position « d’exécutant » au sein de son propre Conseil d’État.

En effet, la seconde commission – dont la mission est d’unifier le leadership du Parti et de superviser le « Party-building work » au sein du système financier – est, lorsque l’on observe les préférences de Xi Jinping, techniquement plus importante que la première. Ce faisant, il est possible que le délai soit en partie le résultat des luttes intra-Parti et lié au fait que Li Qiang ne soit pas prêt à accepter sa défaite face à He Lifeng.

Ceci dit, l’absence de Plenum pourrait également être liée à la situation de la Chine au plan international, mais particulièrement de sa relation tendue avec les États-Unis et de la mort lente de la « Belt & Road Initiative » (BRI), qui fête pourtant son 10ème anniversaire cette année.

En effet, au sommet de l’APEC, Xi n’a pas réussi à obtenir ce qu’il était vraiment venu chercher, soit un allègement des sanctions et un fléchissement de la position de Washington envers Taïwan. Le sommet ne réussit non plus pas à convaincre les milieux d’affaires et les investisseurs occidentaux que la Chine est à présent « open for business ». Avec l’avancée continue du Parti et de ses institutions au sein du secteur privé, les investisseurs étrangers ont raison de ne pas croire au discours pro-réformes qui émane de Pékin. Même le commentaire de Xi portant sur l’absence d’un « plan d’invasion » visant Taïwan n’a pas vraiment réussi à convaincre. Au contraire, ce commentaire, qui ne revient pas sur la possibilité pour réunifier Taïwan par la force, risque de créer encore plus de tensions entre lui et le haut commandement de l’APL, car cela suggère que tous les exercices militaires qui visent à intimider Taïwan ne seraient en fait qu’un spectacle très coûteux depuis le début…

Il est également improbable que la BRI, perçue à tort comme une porte de sortie pour l’économie chinoise et comme une stratégie d’influence politique qui pourrait altérer le paradigme hégémonique, puisse résoudre les problèmes auxquels le Parti fait face à l’heure actuelle. La Chine, ou plutôt les épargnants chinois, ne sont tout simplement plus en mesure de financer les projets servants à écouler les matériaux de construction, la main d’œuvre et les biens manufacturés des entreprises domestiques. Et c’est sans parler de l’énorme dette, de moins en moins performante, qui pèse sur la BRI, que l’on pourrait qualifier de « puits sans fond où l’argent disparaît ».

Ce faisant, nous pensons que les tensions qui existent au sein du Conseil d’État, en plus d’une situation externe qui ne semble pas prête de changer ni de se stabiliser, expliquent pourquoi Pékin semble vouloir préférer attendre avant de tenir le 3ème Plenum qui devra présenter les principaux points qui formeront, potentiellement, ses nouvelles orientations économiques et stratégies de développement. Cela dit, et Xi en est conscient, repousser ce genre de rendez-vous politique trop longtemps mène directement aux spéculations quant à l’unité et la stabilité du leadership.

Enfin, pour que le plénum puisse avoir lieu – et serve à quelque chose, le Parti n’aura d’autre choix que de répondre à des questions cruciales telles que « comment répartir les coûts liés à sa dette croissante ? », « comment compenser le déclin des secteurs de l’immobilier et de l’infrastructure ? », « comment augmenter de manière durable les revenus et de fait, la consommation des ménages ? ».

Trouver une solution à l’une seule de ces questions, même pour une équipe bien préparée – ce qui n’est pas le cas pour l’équipe de Li Qiang – n’est pas une tâche facile. De plus, tenter de développer les secteurs de pointe et les nouvelles forces productives tout en jonglant avec le besoin de mettre en place des mesures visant à réduire l’impact climatique de la Chine dans le cadre d’une bureaucratie léniniste endurcie, frise l’impossible à ce stade.

Malgré le fait que certains s’obstinent à voir la Chine comme étant le prochain hégémon, considérant l’ensemble des problèmes économiques sur la table pour le Parti (sans parler du déclin démographique, des soulèvements populaires fréquents…), Xi est encore loin d’être en mesure de réaliser sa « communauté de destin commun pour l’humanité », à moins, bien sûr, que l’Occident ne lui en donne littéralement l’occasion.

Xi tentera de continuer à démocratiser les institutions internationales en incluant les pays du Sud et, bien sûr, de contourner les sanctions américaines pour renforcer son programme d’intégration civil-militaire. Mais avant que cela ne soit à sa portée, ne serait-ce que de loin, la Chine doit développer des capacités d’innovation indépendantes et renforcer son appareil de réglementation financière pour atteindre une certaine forme de « prospérité commune » grâce à la demande intérieure. À ce titre, il est peu probable que Xi réussisse à « make China great again » dans un avenir proche.

Par Alex Payette, fondateur du cabinet Cercius

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