Editorial : De retour à Shanghai

De retour à Shanghai

Sa dernière visite remontait à novembre 2020, à l’occasion des 30 ans de la zone économique spéciale de Pudong. Il aura fallu attendre trois longues années avant que le Président chinois ne remette les pieds à Shanghai pour 48 heures (28-29 novembre), sachant qu’avant la pandémie, Xi Jinping avait pris l’habitude d’y aller une fois par an. En ville, personne n’a oublié la brutalité du confinement imposé pendant plus de deux mois au nom de la politique « zéro Covid ». Ce n’est donc pas pour tester sa cote de popularité que Xi Jinping fait le déplacement dans la « Perle de l’Orient », mais plutôt pour signaler à qui aurait pu en douter, que l’état de l’économie chinoise – « inquiétant » diraient certains – a toute son attention.

En effet, comme chacun le sait, chaque visite en province du Secrétaire général du Parti est hautement symbolique et ses destinations sont soigneusement choisies pour refléter les priorités du moment. Ainsi, lorsque le leader chinois a un message d’ordre politique à faire passer, il se rend de préférence à Yan’an (Shaanxi), le berceau de la révolution, voire dans le « Dongbei » (Nord-Est du pays). Mais lorsqu’il s’agit d’économie, c’est plutôt Shanghai, Shenzhen ou Canton qui sont préférées, en référence à la fameuse tournée d’inspection de Deng Xiaoping dans le Sud du pays en 1992, qui signala la reprise de la politique de réforme et d’ouverture.

Néanmoins, lors de ce déplacement, à la grande déception des analystes, Xi Jinping n’a fait aucune annonce qui aurait pu signaler un changement de cap économique. Ce « mutisme » pourrait signifier l’absence de consensus au sein du leadership sur les nouvelles stratégies de développement à adopter pour revigorer l’économie. Voilà qui expliquerait le report inattendu du 3ème Plenum du 20ème Congrès, traditionnellement consacré aux questions économiques, à 2024.

En attendant, Xi Jinping, accompagné de son chef de cabinet, Cai Qi, du vice-ministre en charge des finances, He Lifeng, du secrétaire du Parti de Shanghai, Chen Jining, et de son maire, Gong Zheng, a visité la Shanghai Futures Exchange, principale bourse chinoise des matières premières (pétrole, cuivre, caoutchouc…), ainsi qu’une exposition dédiée à la tech, avec un intérêt particulier pour les circuits intégrés et un robot humanoïde. Le leader a également présidé un symposium sur la région du « Delta du Yangtze », l’un de ses projets « signature » prônant davantage d’intégration entre Shanghai, le Jiangsu, le Zhejiang et l’Anhui (provinces voisines mais concurrentes). Enfin, le dirigeant a inspecté des logements sociaux destinés aux travailleurs migrants.

Ce programme reflète les priorités de Xi, à savoir développer un système financier qui soutient « l’économie réelle », réorienter le secteur immobilier pour qu’il réponde mieux aux besoins de la population et tendre vers l’autosuffisance technologique. Pour rappel, la mégalopole héberge le leader chinois des semi-conducteurs SMIC, qui a réussi à produire des puces de 7 nanomètres malgré les sanctions américaines, ainsi que le spécialiste de la reconnaissance faciale, SenseTime, placé par Washington sur liste noire.

Même sans faire d’annonce-choc, le dirigeant chinois aurait pu profiter de ce déplacement à Shanghai pour rassurer les 253 multinationales étrangères qui y ont élu domicile (record national) et qui ont pu directement constater pendant la pandémie que la moindre perturbation de leur chaîne d’approvisionnement en Chine pouvait avoir des répercussions sur leurs activités dans le monde entier.

Xi Jinping semble avoir délégué cette tâche au Premier ministre Li Qiang, qui a inauguré le 28 novembre à Pékin un nouveau salon, baptisé le « China International Supply Chain Expo » (CISCE).

Après avoir mis l’accent sur le potentiel que représente le marché chinois en lançant successivement deux foires (l’une à Shanghai, dédiée aux importations en 2018 ; l’autre à Hainan, consacrée aux biens de consommation en 2021), le leadership cherche cette fois à valoriser ses avancées technologiques, notamment dans certaines industries stratégiques (les énergies vertes, les véhicules électriques, la « smart » agriculture…) pour se rendre indispensable aux yeux d’investisseurs étrangers devenus dubitatifs.

L’objectif : lutter contre le « dérisquage » des chaînes d’approvisionnement, devenu le mot d’ordre à Washington et dans bon nombre de capitales européennes. Hasard du calendrier, la veille de l’inauguration de la CISCE à Pékin, la Maison Blanche dévoilait un plan d’action censé renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement américaines.

Cependant, ce n’est pas tant le « découplage », le « dérisquage » ou le « reshoring » qui poussent les investisseurs étrangers à y réfléchir à deux fois, mais un climat d’affaires sacrifié sur l’autel de la sécurité nationale (loi anti-espionnage, loi sur la protection des données…), et à cela, même 1000 salons n’y feraient rien.

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