Éclipsée par la Covid-19, la campagne « anti-corruption » n’a pas faibli cette année. 18 « tigres », hauts cadres issus de tout horizon, ont été arrêtés d’avril à octobre 2020. L’an dernier, ils étaient 22 à être tombés dans les griffes de la Commission Centrale d’Inspection et de Discipline (CCID).
Parmi les victimes, Ren Hua, vice-présidente de la région du Xinjiang, la première « tigresse » à « tomber de cheval » (落马, luòmǎ) depuis 2017. Selon le communiqué officiel, Ren aurait « perdu ses idéaux », fait preuve de « déloyauté vis-à-vis du Parti » notamment en participant à des « activités superstitieuses »…
Des dirigeants de Hainan, du Fujian, de Pékin, un vice-directeur de l’administration nationale de l’énergie (NEA, véritable coupe-gorge politique), trois cadres issus de l’appareil de la sécurité publique (de Pékin, en passant par Chongqing et Shanghai), l’ancien président de la China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC), et un directeur financier de la COFCO, conglomérat public de l’agro-alimentaire, ont également été mis sous enquête.
N’appartenant pas à la catégorie des « tigres », un vice-président du groupe pétrolier CNPC a également été limogé début novembre. Sa chute s’ajoute à la longue liste de cadres de la CNPC arrêtés depuis la condamnation de l’ancien Président du groupe, Jiang Jiemin, à 16 ans de prison en 2013.
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En parallèle, les premiers remaniements en préparation de la transition de 2022 ont été annoncés le 20 novembre et le 1er décembre. Six nouveaux secrétaires provinciaux du Parti ont ainsi été nommés, suite aux départs à la retraite de leurs prédécesseurs.
¤ Il y a d’abord Jing Junhai (60 ans), un protégé de Zhao Leji (n°6 du Parti et patron de l’anti-corruption), qui devient secrétaire du Jilin, remplaçant Bayinchaolu, un membre de « l’armée de Zhijiang », fidèle à Xi Jinping.
¤ Jing sera secondé par Han Jun (57 ans), nouveau gouverneur de la province. Diplômé d’un doctorat en économie agricole à 25 ans, il a passé les trois dernières décennies dans des think tanks affiliés au gouvernement avant de devenir directeur du groupe directeur des affaires rurales en 2017. Han était largement pressenti pour venir remplacer l’actuel ministre de l’Agriculture Han Changfu (66 ans), ayant atteint la limite d’âge.
C’est finalement Tang Renjian (58 ans), originaire de Chongqing et gouverneur du Gansu, qui devrait remporter le poste. Tang a débuté sa carrière au ministère de l’Agriculture, puis a intégré la Commission Centrale des Affaires financières et économiques, où il passera plus de 16 ans. C’est là qu’il rencontrera l’actuel vice-premier Liu He, son bienfaiteur.
¤ Autre remaniement ministériel : Wang Wentao (56 ans, cf photo), gouverneur du Heilongjiang depuis 2018, était nommé secrétaire du Parti au ministère du Commerce, à la place de l’actuel ministre Zhong Shan. Diplomé de philosophie à la prestigieuse université de Fudan (Shanghai). Wang n’a pas exactement le bagage attendu pour ce rôle, n’ayant aucune expérience en commerce international. Plus étrange encore, il est le neveu de l’épouse de l’ancien Président Jiang Zemin et appartient de ce fait à la clique de Shanghai. Wang aurait également travaillé quelques mois sous Xi Jinping en 2007 lorsqu’il était responsable du district de Huangpu. Deviendra-t-il officiellement le nouveau ministre ? Verdict fin décembre.
¤ Xu Dazhe (64 ans, le plus âgé des secrétaires provinciaux) passe n°1 du Hunan, sa province natale qu’il dirigeait en tant que gouverneur depuis 2016. Avant cela, Xu a fait toute sa carrière dans l’aérospatiale, en faisant à ce titre un membre de la « clique » du même nom ayant bénéficié d’un avancement inédit sous Xi Jinping.
¤ Début septembre, deux autres cadres issus de l’aérospatiale ont également été promus : Zhang Guoqing (56 ans, le plus jeune des secrétaires provinciaux), ancien PDG de Norinco, et nouveau patron du Liaoning, et Yuan Jiajun (58 ans), ancien président de la CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation) qui a pris les rênes du Zhejiang.
¤ Autre « vétéran » provincial, Ruan Chengfa (63 ans) est nommé secrétaire du Yunnan. Natif du Hubei, c’est le protégé de Yu Zhengsheng, ancien n°4 du Parti. Ruan a fait ses armes en tant que maire puis secrétaire du Parti de Wuhan entre 2007 et 2016, où il s’est attelé à développer le réseau d’infrastructures, en endettant lourdement la ville.
¤ Shen Xiaoming (57 ans) devient secrétaire de Hainan, île tropicale dont il était le gouverneur depuis 2017. Né dans le Zhejiang, et ayant gravi les échelons à Shanghai, il serait associé à la « nouvelle armée de Pujiang » (au même titre que Ding Xuexiang ou Yang Xiaodu, tous deux membres du Politburo), rassemblée par le Président Xi lors son passage dans la « Perle de l’Orient » en 2007, en opposition à la fameuse « clique de Shanghai » de l’ancien Président Jiang Zemin. Pédiatre de formation, Shen a été le doyen de la faculté de médecine de l’université shanghaienne Jiaotong avant d’en devenir vice-président. Il a obtenu son premier poste en politique lorsqu’il a intégré la commission municipale de santé, puis est passé vice-maire en 2008, et enfin patron de la zone de libre-échange de Pudong en 2015. C’est durant cette période qu’il travailla sous les ordres de Han Zheng, n°7 du Parti et vice-premier ministre exécutif. À Hainan, son principal défi sera bien sûr de faire décoller la nouvelle zone de libre-échange, une initiative de Xi Jinping.
¤ Yin Li (58 ans), prend la direction du Fujian. Originaire du Shandong, Yin a obtenu son diplôme de médecine en Russie. Il a également étudié à l’école de Santé publique de Harvard. Avant 2015 où il était « parachuté » gouverneur du Sichuan par Xi Jinping, Yin Li n’avait aucune expérience en province, ayant passé la majorité de sa carrière au ministère de la Santé, et à la China Food and Drug Administration (CFDA), avec un intermède au comité exécutif de l’OMS (2004-2005). À 58 ans seulement, ce « technocrate » peut encore prétendre à un poste plus important d’ici 2027.
¤ Mme Chen Yiqin (61 ans, cf photo), prend la tête du Guizhou, province pauvre, réputée pour ses centres de stockage de « big data » et notoirement endettée – un cadeau empoisonné hérité d’un de ses prédécesseurs Chen Min’er, actuellement secrétaire de Chongqing.
Issue de la minorité Bai, Chen a passé toute sa carrière dans sa province natale, en tant que directrice du département de la propagande et de la commission provinciale des affaires politiques et légales. C’est donc dans ce contexte qu’elle a tissé des contacts en haut lieu avec Li Zhanshu, aujourd’hui n°3 du pays et au Guizhou de 2010 à 2012, Zhao Kezhi, conseiller d’État et ministre de la Sécurité publique, et Wang Xiaodong, secrétaire du Hebei.
Chen est la seule secrétaire provinciale du « beau sexe », et seulement la troisième femme depuis 1978 à diriger une province. Si la tradition établie depuis 2002, d’avoir au moins une représentante de la gent féminine au Politburo (en tant que vice-première ministre ou conseillère d’État) est respectée, Chen Yiqin pourrait prétendre à une promotion au Politburo en 2022. Sun Chunlan, seule femme siégeant à l’actuel Bureau politique, avait dirigé le Fujian avant d’être propulsée à Tianjin en 2012 grâce à ses soutiens, ce qui allait de pair avec une place au Politburo. D’après Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius, il n’est pas garanti que Chen Yiqin marche dans les pas de Sun Chunlan, Liu Yandong et Wu Yi, ne disposant pas « d’affiliations politiques suffisantes » pour accéder au Bureau politique. Jusqu’à présent, seules six femmes ont réussi à intégrer le Saint des Saints, les trois autres étant Jiang Qing, l’épouse de Mao, Ye Qun, celle de Lin Biao et Deng Yingchao, celle de Zhou Enlai. Aucune femme n’a jamais siégé au Comité permanent depuis 1949.
À travers ces chaises musicales provinciales, deux tendances se confirment : la première est celle généralisée d’être d’abord passé gouverneur (ou vice-secrétaire) avant de devenir secrétaire. Avant l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, les secrétaires étaient majoritairement des cadres du gouvernement central parachutés en province.
La seconde tient au fait que certains secrétaires restent en poste plus longtemps que prévu, parfois plus d’un an après avoir dépassé la limite d’âge (65 ans). C’est le temps qu’il faut à Xi Jinping pour trouver des remplaçants « acceptables », c’est-à-dire compétents et fidèles. Or, la tâche se complique pour le Président qui a déjà placé tous ses alliés à des postes importants, et qui doit donc considérer des candidats au-delà de ses sphères d’influence habituelles.
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Enfin, dernière nomination de taille, au niveau national cette fois, annoncée lors de la clôture du 5ème Plenum (30 octobre) : celle de Jiang Jinquan, 61 ans et économiste de formation, qui prend la tête de l’institut central de recherche politique (CPRO), « centre névralgique » du Parti à l’origine de toutes les politiques-clés et de tous les slogans en vogue. Il est surtout le pré carré du tsar de l’idéologie Wang Huning, n°5 du Parti, qui dirigeait l’institution depuis 2002. Jiang a travaillé plus de deux décennies à l’institut, sous la supervision de Wang Huning et de celle de son prédécesseur Liu Yunshan.
Théoricien prolifique, Jiang a rédigé plus de 40 essais de plus d’un million de caractères au total. Parmi ceux-là, « comment pratiquer l’autocritique correctement » qui a remporté « un prix de l’excellence », ou encore « apprendre des actions du Secrétaire Général Xi Jinping au sujet de la construction du Parti et de la gouvernance en faisant preuve d’une discipline stricte ». Mais c’est une certaine « analyse du chemin du développement économique de la Chine », qui aurait fait forte impression auprès du Président Xi. Cadre rigoureux, discipliné et fiable, Jiang est un expert de la « consolidation » du Parti. Ce n’est pourtant pas pour ses talents de théoricien qu’il a été choisi, mais plutôt pour sa capacité à perpétuer « l’héritage idéologique » de Wang Huning.
La nomination de Jiang Jinquan ne veut pas pour autant dire que Wang Huning est en perte de vitesse. Au contraire, il pourrait être appelé de plus hautes destinées : selon Alex Payette, Wang pourrait passer en 2022 vice-président, à la place de Wang Qishan, ou alors président de l’ANP, sur les traces de Li Zhanshu. Cependant, avoir un idéologue aussi haut placé pourrait être vu d’un mauvais œil par certains au sein du Parti… Néanmoins, si cette élévation se concrétise, elle reflèterait fidèlement le « virage à gauche » entamé par le Président Xi Jinping, qui lui a déjà sa place assurée pour l’après-2022.
Sommaire N° 39 (2020)