Editorial : Un 11.11 en demi-teinte

Cela devient une habitude pour Alibaba. Cette année encore, le géant chinois du e-commerce explosait son chiffre de 12 mois plus tôt lors de soldes géantes sur ses plateformes Taobao et Tmall. Depuis la création de la « fête des célibataires » en 2009, c’est le 11ème record du groupe avec des ventes cette année de 38,3 milliards de $ (+24% par rapport à l’an passé), générées par 200 000 marques participantes dont 10% sont étrangères.

Yin Liqing, responsable informatique à Pékin, n’était toutefois pas impressionné. Six mois plus tôt, il avait calculé avec 99% de précision quel serait le nouveau montant des ventes d’Alibaba, expliquant que chacun des records suivait une courbe linéaire, insinuant donc que les chiffres seraient truqués. Le groupe de Hangzhou ne tarda pas à porter plainte contre lui pour diffamation. Certains acteurs du e-commerce prenaient la défense de la firme, avançant qu’il est tout à fait normal que les ventes suivent une progression linéaire, étant donné que la stratégie marketing et les réductions sont fixées en fonction des objectifs à atteindre. Même son fondateur Jack Ma, ayant passé la main en septembre à Daniel Zhang, se sentait dans l’obligation de confirmer les montants engrangés jusqu’au dernier centime. Il assurait même qu’Alibaba aurait pu mieux faire, déplorant une météo relativement chaude pour la saison, peu propice à la vente de prêt-à-porter, mais aussi que le 11.11 tombe un lundi, décourageant ainsi de faire du shopping en pleine nuit, avant d’aller au travail le lendemain. « Nous espérons qu’à l’avenir, une demi-journée de congés sera accordée pour permettre à tous de profiter de l’occasion », plaidait-il.

En effet, la veille, un gala télévisé faisait le décompte jusqu’à minuit. La chanteuse américaine Taylor Swift, y avait été conviée ainsi que 41 célébrités promouvant notamment l’artisanat rural chinois. Il ne faut pas oublier qu’Alibaba est un acteur du programme gouvernemental de lutte contre la pauvreté : d’ici 2020, Taobao devrait faire vivre 3 millions de personnes dans 5 500 villages.

Ombre au tableau, les déchets plastiques provoqués par une telle frénésie d’achats : l’an dernier, Greenpeace l’évaluait à 250 000 tonnes. D’ici 2025, les déchets accumulés par le secteur du e-commerce sont amenés à quadrupler à 41,3 millions de tonnes. Or seulement 5% des emballages plastiques sont recyclés.

A Hong Kong, le 11.11 devenait probablement la journée la plus violente depuis le début de la crise il y a six mois. C’est le moment que choisissait Alibaba pour annoncer officiellement sa cotation au Hong Kong Stock Exchange, rejoignant entre autres Xiaomi et Meituan-Dianping. 575 millions d’actions seront proposées au prix auspicieux de 188 HKD chacune. Ainsi, le 26 novembre, le groupe ambitionne de lever 13,8 milliards de $, notamment auprès des investisseurs chinois, qui y auront accès via le système de « stock connect » avec Shanghai ou Shenzhen, assoupli le 28 octobre pour inclure les actions à droit de vote multiple. Pour Alibaba, Hong Kong représentera aussi une alternative, si jamais l’administration de Donald Trump décidait de délister les compagnies chinoises cotées aux USA, ou de durcir les règles à leur encontre (comme de révéler tout lien financier ou politique avec le gouvernement chinois). 

Après une entrée historique en bourse de New York en 2014, où Alibaba levait 25 milliards de $, choisir Hong Kong pour sa seconde cotation était un signe de confiance en l’ex-colonie britannique, alors qu’elle venait de plonger en récession au 3ème trimestre. Pourtant, Alibaba a longtemps hésité avant de passer à l’acte, tablant sur un apaisement des tensions, et surtout craignant de déplaire à Pékin qui cherche à attirer ses géants de la tech sur ses marchés boursiers continentaux, dont celui de Shanghai et son nouveau marché « star » qui leur est dédié. Quelles sont les raisons qui ont convaincu Alibaba de le faire malgré tout ? Ces bons chiffres du 11.11 bien sûr, mais surtout un probable accord implicite de Pékin, qui pourrait chercher à sauver l’image en péril de Hong Kong en tant que première place financière asiatique.

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