Le 25 novembre, le chercheur chinois He Jiankui, 34 ans, provoquait un tollé dans le monde scientifique après avoir annoncé « avec grande fierté », en une vidéo postée sur Youtube, la naissance « il y a quelques semaines » de deux bébés à l’ADN génétiquement modifié. Le lieu où sont gardées les jumelles, Lulu et Nana, est inconnu du public, tandis que les allégations de He restent à être vérifiées indépendamment. Trois jours plus tard, lors du second Sommet international sur l’édition du génome humain à Hong Kong, He expliquait que son objectif n’était pas d’empêcher la transmission du VIH aux enfants, dont le père est séropositif (d’autres techniques existent pour ce faire), mais plutôt de les rendre résistantes au virus du sida.
C’est la première fois – du moins officiellement – qu’un scientifique va aussi loin dans des recherches menées en dehors de tout cadre légal et considération éthique. He est professeur associé à l’Université des Sciences et Technologies de Shenzhen. Cependant, l’Institut affirme que les recherches ont été menées sans son aval, alors que He était en congé sabbatique. Pourtant, les tests ont duré plusieurs mois et mobilisés une équipe complète. Deux cents couples, dont au moins l’un des deux partenaires est porteur du virus du Sida, s’étaient déclarés intéressés pour participer à l’expérimentation. Au final, 7 couples s’étaient engagés. Une fausse-couche serait advenue durant les premières semaines de grossesse—une seule fut menée à terme, celle de Lulu et Nana.
Enfant d’une famille pauvre du Hunan, He Jiankui a décroché une bourse d’études aux Etats-Unis. Diplômé de Stanford et Houston, il a travaillé avec les pionniers des travaux sur l’ADN humain dont le professeur Stephen Quake, son mentor. Aux Etats-Unis, il a aussi découvert le potentiel commercial exceptionnel de ces techniques (CRISPR). Dès son retour à Shenzhen en 2012, il trouve des financements (notamment auprès des investisseurs du réseau de cliniques privées, Putian Group) qui lui permettent de créer deux entreprises, Direct Genomics et Vionomics. La municipalité de Shenzhen l’a d’ailleurs généreusement soutenu avec 6 millions de $ de subventions.
Pour l’instant, He Jiankui est suspendu, invisible en public depuis le sommet hongkongais et le gouvernement s’est nettement distancié du projet, promettant des sanctions. Mais quel avenir pour les fillettes ? Le danger est réel, des altérations pouvant survenir dans le génome de manière inattendue. De plus, les caractéristiques de leur ADN modifiés seront retransmises à leur descendance. Un suivi à vie est nécessaire—qui en sera chargé ? Autant de questions aujourd’hui sans réponses…
En Chine, les recherches dans le domaine des biotechnologies sont en pointe depuis déjà une quinzaine d’années. A Shenzhen, on trouve ainsi les deux plus importants parcs industriels dans le domaine de la génétique. A l’échelle nationale, elle compte près de 2.500 laboratoires pesant plus de 35 milliards d’euros. Le gouvernement y investit un demi-milliard d’euros par an, alimentant une course folle aux découvertes scientifiques, quitte à brûler certaines étapes et certains principes. « L’industrie chinoise des biotechnologies est comme un bébé dragon en train de grandir très vite et que plus personne ne pourra ignorer. Le monde occidental n’a plus l’hégémonie dans ce domaine et, aujourd’hui, les innovations viennent de Chine », confirme Peter Singer de l’Université de Toronto et auteur d’un rapport sur les biotechnologies en Chine.
L’autre secteur en pointe est le clonage humain. Il y a dix ans déjà, le professeur Li Jianyuan de l’hôpital Yantai, devenait le premier scientifique à réaliser le clonage de cinq embryons humains. « Beaucoup de scientifiques s’intéressent à ce domaine parce qu’il offre des perspectives exceptionnelles, explique le professeur, il y a beaucoup de maladies pour lesquelles nous n’avons actuellement aucun traitement. Grâce au clonage des embryons humains, on peut obtenir des cellules qui permettront de traiter les patients, notamment pour des transplantations d’organes ». Le Professeur Li rêvait alors d’un dialogue avec des scientifiques français sur ce sujet et s’étonnait de la psychose en Occident autour du clonage. Car la technique est controversée : utiliser les cellules souches provoque la destruction de l’embryon cloné. Beaucoup de pays ont donc préféré y mettre un terme pour des questions éthiques. Ce n’est pas le cas en Chine où l’on s’appuie sur une tout autre philosophie : « Selon la pensée confucianiste une personne est considérée comme un être humain après sa naissance. Cette philosophie existe depuis des milliers d’années en Chine. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de problème pour nous à détruire des embryons humains pour conduire les recherches sur les cellules souches, justifie Qiu Renzong, professeur de philosophie à l’Académie des Sciences sociales de Chine. « Pour nous, les embryons et les fœtus ne sont donc pas des êtres humains. ».
En s’appuyant sur cette philosophie vieille de 2000 ans, la Chine s’attaque donc aux maladies du 21ème siècle. C’est le même schéma qui a conduit le professeur He à s’affranchir des règles. Depuis 2003, les recherches sur l’ADN humain sont pourtant encadrées par le ministère chinois de la Santé. Les expérimentations ne sont pas officiellement interdites mais nécessitent des autorisations. Et le cas de He Jiankui pose évidemment la question de la supervision des expérimentations. Pékin a également décrété en 2012 un moratoire sur les thérapies cellulaires. Les hôpitaux qui les pratiquent ont par exemple interdiction de faire payer ces thérapies en phase d’essai. Mais les recherches et les affaires ont continué…Certains laboratoires commercialisent même des cellules souches sur internet. Vendues 15.000 euros l’unité, elles alimentent un réseau d’hôpitaux qui auraient traité plus de 6.000 patients sans autorisation officielle. Ce commerce pourrait cette fois subir un sérieux coup de froid si Pékin fait réellement appliquer ses directives. Mais dans le même temps, le ministère compte beaucoup sur ce secteur qui assure la montée en gamme de la santé publique avec pour objectif de rattraper d’ici 2030 les pays développés tout en évitant de gonfler ses importations et ses dépenses.
1 Commentaire
severy
10 décembre 2018 à 17:06L’éthique? Quelle éthique? En se marquant des autres pays, la Chine veut agir sur base de son exception culturelle. Un fétus n’est pas un fétus. Un embryon n’est pas un embryon. Un bébé n’est pas un bébé. Un homme n’est pas un homme… En tout cas, pour paraphraser Magritte, Ceci n’est pas de l’éthique.