À l’aube grise de septembre 2006, Xu Zhongbao se retrouva hors de la prison n°1 de Hangzhou (Zhejiang), trainant son baluchon, sans trop savoir où aller. Il portait les vêtements aujourd’hui démodés, qu’il avait sur lui quand on l’avait arrêté en mai 2000.
Son cousin Liu, originaire de la ville de Yueqing comme lui et qu’il n’avait pas vu depuis des lunes, accepta de l’héberger le temps de dépasser cette mauvaise passe, à condition qu’il se trouve rapidement du boulot. Les deux hommes passèrent donc de longues soirées, Xu relatant à Liu sa vie de prisonnier et les 1001 trucs et combines des repris de justice pour vivre et prospérer.
Là, cette confession fit jaillir un souvenir à l’esprit de Liu : le commissariat d’arrondissement recrutait ces temps-ci, indics et bons connaisseurs de l’univers du crime… Xu avait le profil parfait pour infiltrer les bandes mafieuses qui infestaient la capitale provinciale. Cela lui donnerait l’occasion de rendre service aux forces de l’ordre en nettoyant la ville de sa lie. Et cela lui permettrait aussi de retrouver un rôle dans la société, d’y retourner par la grande porte.
Lors de son entretien avec un lieutenant, Xu finit de le convaincre en lui citant plusieurs de ses contacts, chefs de bandes notoires. Maintenant que sa femme l’avait quitté, le laissant sans enfant, il n’avait plus rien à perdre. Le lieutenant lui offrit alors de devenir un agent infiltré.
Le seul souci de Xu était son inexpérience dans ce métier d’agent double : au premier contact, ne risquait-il de laisser sa langue fourcher (shuō tuōluò le ,说脱落了), de se trahir et de se faire descendre ? « Bien sûr que non », répliqua le policier ! Six ans d’expérience carcérale étaient pour Xu sa meilleure garantie face aux gangsters, celle d’être des leurs. Et puis qu’il se rassure, on n’allait pas le « lâcher » dans cette jungle, sans préparation !
Ce qui fut dit, fut fait. Xu suivit une série de stages en close combat, en filature, en l’art de tirer les vers du nez… Une fois fin prêt, il fut lancé sur un tripot de banlieue qui cachait un bancal casino clandestin.
Parmi la dizaine de joueurs louches, il retrouva Canard, copain de geôle, estropié par une rixe. Libéré depuis 2004, Canard lui fit fête, lui paya un verre. Xu lui expliqua ses galères, l’impossible quête d’un boulot, les stigmates du passé de taulard : « Je suis prêt à tout pour remonter la pente », fit-il. « Bon, on y pensera », répondit Canard, sur ses gardes. Sur quoi Xu, en un sourire, lui tendit le portefeuille qu’il venait de lui faucher :
– tiens, en attendant, garde ça… ça peut toujours servir !
– ça alors, salua l’autre, t’as pas perdu la main – Xu venait évidemment de marquer un point !
Huit jours après, Canard le rappela pour lui présenter sa bande. Leur spécialité était la voiture électrique, qu’ils piquaient et écoulaient dans le pays, rééquipées de vraies-fausses plaques.
En trois semaines, le temps de détecter tous les membres du gang, Xu participa à plusieurs casses dans des garages privés ou bien en carjacking, en coinçant le véhicule et menaçant le chauffeur d’une arme. Trois jours après le dernier vol, le coup de filet fut lancé par la police : les 14 malfrats défilèrent menottés au journal télévisé, passeurs, mécaniciens, fabricants de faux papiers, ainsi que Canard et Xu – ce dernier de dos, évitant tout gros plan sur son visage. Le reportage montrait aussi la trentaine de voitures récupérées, qui attendaient de retrouver leurs propriétaires légitimes.
Le soir-même, à l’insu des bandits qu’il venait de trahir, Xu célébrait avec ses collègues de la crime, émerveillés par son audace, sa capacité à éviter les erreurs lors du danger, et sa modestie lors du triomphe.
Ce qui ne l’empêcha pas, six mois plus tard en 2007, de se faire repérer par d’ex-acolytes qui lui « firent sa fête », à coups de couteaux et de matraques. Laissé pour mort dans un cul-de-basse-fosse, Xu souffrait de fractures aux jambes, aux bras et aux côtes. Mais comment payer tous ses soins à l’hôpital ? Xu n’avait aucune couverture sociale. Au commissariat, les collègues vidèrent leur caisse noire et firent trois collectes – mais on restait loin du compte, face aux mois de soins restant en suspens… Le commissaire eut alors l’idée salvatrice : il prévint la TV et le journal local, permettant ainsi de faire un battage sur le sort du héros inconnu. Bientôt, un certain « Mr. Ni », originaire de Yueqing comme Xu, versa les 10.000 yuans nécessaires pour remettre le policier en quelques mois sur pied.
De cet acte anonyme, Xu gardera toute son existence une profonde gratitude. Il poursuivit son service, continuant à suivre les gros coups : des semaines de patience, d’enquête de terrain, de travail d’embuscade, lui permirent d’infiltrer des bandes qui préparaient un braquage d’une banque ou d’une villa…
Après quelques années, le danger monta encore d’un cran : quand les gangsters coffrés par ses soins commencèrent à ressortir de prison, peine purgée. Tout ce que Hangzhou comptait de malfrats avaient juré de se venger de Xu…C’est alors que la police lui proposa une nouvelle vie.
Elle sera révélée au prochain numéro – suite, et fin !
1 Commentaire
severy
2 décembre 2017 à 18:48Quoi! Encore une semaine à devoir attendre pour connaître la suite des aventures d’un mouchard? Par Laozi! C’en est trop. Vite une paire de baguette trempées dans le curare ou, à la rigueur, un exemplaire du petit livre rose des pensées de Xi Jinping. Je me suicide.