Editorial : « Plus ou moins 5%, tout est acceptable »

« Plus ou moins 5%, tout est acceptable »

« La Chine est pleine de vieux dynamiques, de jeunes abattus et de personnes d’un certain âge désenchantées ». C’est le portrait sans filtre de la Chine post-Covid que dresse Gao Shanwen, économiste en chef chez SDIC Securities. Auparavant consulté par feu le Premier ministre Li Keqiang, cet économiste de renom est un habitué des déclarations-chocs relayées sur les réseaux sociaux : il remet depuis longtemps en doute le rythme de croissance du PIB et s’intéresse plus particulièrement au sort de la jeunesse chinoise.

Ainsi, lors de sa prise de parole à Shenzhen le 3 décembre, l’homme a estimé que le taux de croissance du PIB a été surévalué de 10 points au cours des trois dernières années, soit un peu plus de 3 points tous les ans, et que durant la même période, 47 millions de personnes n’ont pas pu trouver de travail dans les villes, ce qui équivaut à environ 10% de la main d’œuvre urbaine. Officiellement, le taux de chômage officiel n’est que de 5% contre 17,6% pour les jeunes de moins de 25 ans.

Ce marché du travail qui tourne au ralenti pèse sur la consommation des jeunes. Voilà ce qui le pousse à dire que « la Chine est pleine de vieux dynamiques, de jeunes abattus et de personnes d’un certain âge désenchantées ». En effet, Gao explique que les tranches d’âge les plus élevées ont une situation financière plus ou moins stable et leurs pensions de retraite sont versées à temps, tandis que les jeunes doivent revoir leurs prétentions salariales à la baisse et ne savent pas de quoi demain sera fait…

Gao conclut en affirmant que « les problèmes actuels ne sont pas irrémédiables, mais sont le fruit de pressions cycliques qui peuvent être résolues ». Un brin d’optimisme qui a probablement permis à la retranscription de son discours de rester en ligne quelques jours, avant d’être supprimée par les censeurs. Pour rappel, depuis fin 2023, tenir un discours critique de l’économie chinoise sur Internet ou dans les médias constitue un crime mettant en danger la sécurité nationale.

Dans la même veine, les commentaires formulés par Fu Peng, économiste en chef de chez Northeast Securities, ont également disparu de la toile : l’homme s’interrogeait sur le niveau de consommation de son pays, notoirement plus bas que dans les pays développés (entre 45% à 50% du PIB contre 65% à 70%), et expliquait que l’origine du problème tient à la baisse des prix de l’immobilier. Il affirme que, durant longtemps, la consommation a été alimentée par la « sensation de richesse » causée par la hausse constante des prix de l’immobilier. Maintenant que les prix baissent, les ménages n’ont plus le cœur à dépenser, d’autant que leurs autres sources de revenus n’ont pas augmenté aussi vite…

Ce tableau peu réjouissant de l’économie sera au centre des préoccupations des dirigeants chinois lorsqu’ils se retrouveront lors d’une réunion du Politburo consacrée aux questions économiques, puis lors de la conférence centrale sur le travail économique (11-12 décembre). Les enjeux de cette édition sont grands, alors que les marchés attendent un stimulus plus conséquent que ce qui a déjà été annoncé.

Même si peu de détails devraient filtrer dans l’immédiat, le communiqué donnera sûrement quelques indices sur la manière dont ils comptent gérer les politiques monétaires, industrielles et surtout fiscales. Le symposium fixera (entre autres) l’objectif de croissance du PIB pour l’année suivante, mais le chiffre ne sera annoncé que lors de la prochaine assemblée en mars 2025. Il était « d’environ 5% » pour 2024 et sera probablement atteint grâce aux mesures de relance soudainement annoncées fin septembre face à la sévère crise de liquidités rencontrée par les collectivités locales, parfois incapables de payer le salaire de leurs fonctionnaires.

Dans un article publié début décembre, l’agence officielle Xinhua semblait confiante quant à l’efficacité de ces mesures : « l’économie chinoise se concentre actuellement sur la réalisation d’améliorations qualitatives efficaces et d’une croissance quantitative raisonnable (…) on aurait donc tort de juger de son succès simplement en fonction des chiffres du PIB (…) que ce soit un peu plus de 5% ou un peu moins de 5%, les deux sont acceptables ». Même son de cloche de la part du Quotidien du Peuple qui affirme que « la Chine n’est pas tenue d’atteindre des taux de croissance du PIB spécifiques (…) et qu’un « rythme de moins de 5 % pour l’économie est acceptable », car il n’y a nul besoin « de vouer un culte à la vitesse ».

Une chose est sûre : au cours de leurs discussions, les dirigeants chinois devront faire preuve de beaucoup de créativité, voire d’agressivité, dans leurs politiques s’ils souhaitent inverser les tendances évoquées par Gao et Fu.

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