« Non, la Chine ne se referme pas sur elle-même ». C’est en substance le message que les dirigeants chinois martèlent depuis quelques semaines, pour rassurer les investisseurs étrangers et faire taire les critiques sur son intransigeante stratégie « zéro Covid ».
« La Chine ne peut se développer en s’isolant du reste du monde, et le monde ne peut se développer sans la Chine », a affirmé le vice-président Wang Qishan au Bloomberg New Economy Forum. « La Chine va garder ses bras ouverts, fournir davantage d’opportunités d’investissements et de croissance au monde », a-t-il ajouté.
Quelques jours plus tôt, en un message vidéo délivré à l’occasion de l’inauguration de la 4ème foire aux importations de Shanghai (CIIE), le Président Xi Jinping tenait un discours équivalent. Même son de cloche lors du sommet virtuel organisé avec son homologue américain Joe Biden. Lors d’un dialogue (en ligne là encore) organisé par le World Economic World, le Premier ministre Li Keqiang tenait des propos similaires.
Ces promesses d’une Chine qui va « poursuivre son ouverture » peuvent surprendre, alors que le pays se barricade depuis bientôt deux ans, sous la menace d’un virus qu’elle a vu naitre.
Les compagnies étrangères, les expatriés et les étudiants – qui n’ont jamais pu revenir en Chine terminer leur cursus – sont les premiers à déplorer cette situation. Faute de perspectives d’assouplissement des conditions sanitaires pour 2022, les étrangers sont nombreux à envisager de partir, las d’être séparés de leurs familles…
Selon une récente enquête réalisée auprès de 338 sociétés membres de la Chambre de commerce américaine (AmCham)* de Shanghai, plus de 70 % d’entre elles ont des difficultés à attirer et à retenir les talents étrangers – un constat partagé par trois quarts des firmes européennes.
Ces difficultés retardent ou mettent en péril les décisions d’investissements prises aux sièges, particulièrement dans un contexte de méfiance croissante à l’égard de la Chine.
On aurait pourtant tort d’imputer cet exode uniquement au virus, la pandémie n’ayant été qu’un accélérateur de tendance. Selon les données du grand recensement décennal publié en 2020, seuls 856 000 ressortissants étrangers, toutes nationalités confondues (dont 14 000 Français) résideraient sur le territoire chinois (sans compter Hong Kong et Macao, qui accueilleraient 13 000 Français), représentant 0,06 % de la population. C’est beaucoup moins que les 2,8 millions installés au Japon (2,2%), pourtant réputé être un pays « relativement fermé » aux étrangers. À Shanghai, ville la plus internationale du pays, le déclin en 10 ans est de 22% (164 000 résidents étrangers), et de 42% dans la capitale chinoise (62 000).
Comment expliquer cette perte d’attrait de la seconde puissance économique mondiale ? Outre une image générale qui s’est dégradée (pollution, durcissement politique et idéologique, diplomatie « combattante »…), la compétition sur le marché du travail chinois est de plus en plus forte, conduisant à une « sinisation » des postes. Une imminente réforme de la taxation sur les revenus devrait également rendre l’expatriation en Chine moins attractive.
L’environnement d’affaires n’est pas non plus exactement au beau fixe. Certes, la Chine a ouvert son marché (liste « négative » des investissements réduite, fin de l’obligation de partenaire chinois dans certains secteurs), mais elle n’en a pas forcément facilité l’accès (critères d’investissement, licences…).
En outre, la pandémie a poussé le gouvernement chinois à vouloir réduire sa dépendance économique vis-à-vis des exportations en renforçant sa consommation intérieure. Ce concept de « circulation duale » a toutes les chances de profiter aux marques chinoises, favorisées par un nationalisme grandissant (le dernier 11.11 en est l’illustration).
Autre facteur : face à l’hostilité américaine sous l’administration Trump, le gouvernement chinois a fait de l’objectif d‘autosuffisance – alimentaire, énergétique, technologique – une priorité, et du principe de « sécurité nationale », un impératif. Il transparait notamment à travers un nouveau cadre réglementaire s’appliquant aux données récoltées en Chine et à leur transfert hors frontières.
Pour se mettre en conformité, les entreprises étrangères seront contraintes de dupliquer leurs investissements en Chine, ce qui va accroître le coût de leurs opérations dans le pays.
Une dynamique similaire s’observe au niveau des normes et standards, qui va nécessiter une plus forte localisation des produits destinés au marché chinois.
Résultat : seules les firmes ayant un fort intérêt à rester présentes sur le marché chinois (ce qui n’était visiblement pas le cas de Linkedin et de Yahoo) et ayant les reins assez solides financièrement, procéderont aux investissements nécessaires. Les autres jetteront l’éponge…
Ce fossé entre les discours officiels « accueillants » et une réalité sur le terrain qui se complique, s’explique par les priorités conflictuelles du gouvernement chinois.
Bien conscient que l’afflux de capitaux, d’investissements et d’expertise étrangère durant les quatre dernières décennies, a sensiblement contribué au « miracle économique chinois », la Chine veut continuer à en bénéficier, surtout pour l’aider à devenir une puissance technologique.
Mais cette priorité s’entrechoque avec sa politique sanitaire, qui a pour le moment, l’ascendant sur toutes les autres. Cependant, plus cet isolement s’inscrira dans la durée, plus les séquelles sur ses relations avec l’étranger (au sens large) seront lourdes. Lorsque le pays se « rouvrira », l’enthousiasme pour retourner en Chine sera-t-il le même ? Il est permis d’en douter…
* Signe des temps : les deux présidents de l’AmCham, à Pékin et à Shanghai, vont eux aussi quitter le pays.
Sommaire N° 38 (2021)