À 8000 km l’un de l’autre, Zimbabwe et Birmanie, jeunes républiques issues de l’après-seconde guerre mondiale, font face à une période troublée. Dans les deux cas, ces remous (chute de Mugabe, le leader historique au Zimbabwe, et guerre ethnique en Birmanie) voient dans leur sillage une forte activité chinoise en sous-main. Or, en ces évolutions parallèles, nul hasard : championne en stratégie internationale, la Chine voit dans ces pays des zones essentielles pour son avenir, son rayonnement régional. Le moment est venu d’agir !
– Avec le Zimbabwe, la relation est ancienne et privilégiée. Avant l’Indépendance, quand le territoire, encore colonie de la Couronne, s’appelait « Rhodésie », Mao forma en Chine de jeunes révolutionnaires tel Emerson Mnangagwa, qui devient à 75 ans le successeur de Robert Mugabe, 93 ans.
Aux années 1990, quand Mugabe dut réprimer des conflits ethniques, la Chine le protégea de condamnations au Conseil de Sécurité de l’ONU. En 2000, Mugabe s’inspira de Mao pour exproprier et éliminer les propriétaires terriens (les Farmers blancs), plongeant ainsi le pays dans la ruine mais marquant sa dictature de terreur et s’assurant une gloire durable. Entre 2000 et 2014, après Cuba, Côte d’Ivoire et Ethiopie, le Zimbabwe était le 4ème bénéficiaire de l’aide chinoise. En 2015, à Harare, Xi Jinping déballait un paquet de 12 contrats, d’énergie, de fibre optique, de pharmacie, d’aéroport et de centrales, pour 4 milliards de $. Il ajoutait une école militaire, un système radar, des avions-chasseurs, des half-tracks et des fusils d’assaut AK-47.
Avec Moscou, Pékin était le seul allié de cette dictature mise au ban de la société des nations. Pékin soutenait le Zimbabwe en raison des gains exceptionnels à en attendre, son sol et son climat—mine d’or agricole en friche—et son sous-sol richissime en minerais et pierres précieuses. Sa position centrale en Afrique australe lui promettait de rayonner à l’avenir vers d’autres pays du continent noir, par « routes de la soie » interposées.
À partir de 2016 pourtant, la relation se détériora. Lassé de devoir « dépanner » son allié en urgence, Pékin lui reprochait une gestion désastreuse. En particulier depuis 2011, sa « loi d’indigénisation » forçait l’étranger –sans exception pour la Chine– de céder à des Zimbabwéens la direction de leurs entreprises. Deux groupes chinois perdaient alors le contrôle de leurs parts dans la mine de diamants de Marange.
Alors, Pékin ne se gêna plus pour soutenir Mnangagwa, vice-Président, « plus pragmatique » et « tout aussi amical ».
Début novembre, les choses s’accélérèrent. Mnangagwa « disparut », peut-être aidé par la Chine. Il était menacé de mort par Grace Mugabe, la seconde épouse du dictateur, de 42 ans sa cadette, qui visait le pouvoir. Le 14 novembre, C. Chiwenga, général en chef zimbabwéen se rendit à Pékin, en une visite présentée comme « de routine ». Huit jours après, Mugabe était déposé et Mnangagwa resurgissait, Président par intérim, prêt à lancer une campagne électorale sous contrôle de l’armée, et se faire réélire en janvier 2018.
Face aux troubles, Pékin se drape d’un manteau de neutralité. Selon un expert chinois, Mnangagwa pourrait rapidement abroger la loi d’indigénisation, pour relancer les investissements chinois. La Chine joue gros. Avec Mnangagwa, elle espère élargir son contrôle sur les mines, les infrastructures, relancer l’économie du pays pour en faire une vitrine du développement à la chinoise, déployer depuis son sol ses projets d’« initiative ceinture et route » (BRI) !
– En Birmanie, l’affaire des Rohingyas offre à la Chine une opportunité unique de mettre un terme à 6 ans de froid avec son voisin, et de le détourner de son flirt avec l’Occident. En 2011, après 40 années d’« amitié » idéologique étouffante, Naypyidaw se détachait de la Chine. Elle s’offrait alors des élections libres, un ravalement de façade démocratique sous la houlette de son égérie Aung San Suu Kyi.
Mais l’armée n’avait pas relâché son emprise. En 2010, la traque des Rohingyas débuta, chassant en 7 ans 600.000 musulmans ethniques vers le Bangladesh. Dès lors à l’ONU, Russie et Chine retrouvèrent leur rôle de « grand frère protecteur » contre les condamnations de l’Occident.
Puis le 18 novembre, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères se rendit dans les deux capitales, sustenté d’un plan de paix prévoyant cessez-le-feu, négociations bilatérales entre Birmanie et Bangladesh, et aide internationale. La Chine a un intérêt direct à pacifier la zone : son futur corridor industriel du Yunnan jusqu’à Calcutta, via Birmanie et Bangladesh, doit bénéficier à 440 millions d’habitants. Pékin prépare dans l’Etat de Rakhine (terre des Rohingyas) un port en eaux profondes à 7 milliards de $… Mais rien de tout cela, mais même l’oléoduc et le gazoduc déjà en place, ne sont viables tant que subsiste l’incertitude des Rohingyas.
D’abord peu convaincu, Dacca (Bangladesh) commence par rejeter le plan. Mais son objection ne tiendra pas longtemps : dès le 22 novembre, Naypyidaw et Dacca annoncent la signature d’un traité signifiant le retour des réfugiés vers l’Etat de Rakhine leur terre d’origine « dès le mois prochain ».
Est-ce faisable ? Difficile à y croire, alors que les villages des exilés ont été brûlés et leurs terres saisies. Un léger signe d’espoir, côté Birman, tient au récent limogeage, dans la junte militaire, du général considéré comme le « fer de lance » du pogrom contre les Rohingyas. Mais un simple limogeage peut-il suffire à changer le cours de l’histoire, et sous quel équilibre d’alliances la Birmanie veut-elle vivre à l’avenir, entre Occident en Chine ? Tout cela reste à établir.
Sommaire N° 38 (2017)