Technologies & Internet : La Chine, superstar de la R&D

Toujours plus, la Chine s’impose comme une puissance de la recherche et développement. N. Aguzin, CEO Asie-Pacifique de JP Morgan (1ère banque mondiale en capitalisation) prédit qu’en 2027, elle détiendra le quart des 500 plus grosses compagnies de la planète, et 20% de son PIB (contre 14% en 2016, selon Banque Mondiale). Une de ses forces est l’innovation dans le monde des affaires : en « FinTech et AssurTech » (technologies de l’assurance et de la finance), paiement mobile, automation, intelligence artificielle…

En matière scientifique, deux projets récemment dévoilés, laissent rêveurs.

-Le 18 novembre, l’Académie des technologies de propulsion satellitaire annonce une flotte de fusées nucléaires réutilisables, destinées à l’exploration et l’exploitation minière, et le tourisme spatial. Li Hong, son président, décrit l’objectif, éminemment politique : en propulsion satellitaire conventionnelle, la Chine veut rattraper les Etats-Unis dès 2020. En 2025, une navette devra assurer l’approvisionnement régulier de la station chinoise géostationnaire. 2030 doit voir le lancement d’une base lunaire, et de missions vers Mars, à finalité touristique et de recherche de minerais. Aux années 2040 démarrera la fusée nucléaire – dont l’avantage sera de suppléer à l’énergie solaire, une fois sortie du système solaire.

-L’autre projet technologique étonnant est en cours à Nagqu, 4ème ville du Tibet (24.000 habitants). L’objectif est de faire pousser une forêt, 1000 mètres au-dessus de la barrière d’altitude mondiale pour ce type de canopée—Nagqu se trouve à 4500m au-dessus du niveau de la mer. Soutenu par le Président Xi Jinping, ce projet comporte un champ de panneaux solaires autour de 20 hectares de plantation expérimentale, sillonnée en sous-sol d’un serpentin d’eau chaude, complanté en pins, sapins et cyprès.

Ce n’est pas la première tentative : depuis 20 ans, des essais privés se succèdent, motivés par une promesse publique de 100.000 yuans par arbre en cas de succès. Les autochtones ont tenté des plantations sous serres géantes, d’autres sous engrais spéciaux, ou encore arrosées d’eau chaude, ou protégeant les ramures par film plastique. Toutes ont échoué.

Emanant du ministère des Sciences et Technologies, ce nouvel essai prétend réchauffer de quelques degrés le pergélisol, pour enrayer l’arrêt de la « lignification » (de la production de bois par l’arbre). Resté secret, le coût de l’opération s’élève en dizaines de millions de yuans. Durant le 19ème Congrès, le Président Xi s’enquit de l’avancement du projet, destiné à soutenir… le moral des troupes ! En effet, selon le journal de l’Armée Populaire de Libération, les soldats postés pour des années au « Toit du Monde », peuvent tout endurer—sauf l’absence de bois, de forêts et de bosquets !

Au demeurant, une majorité de chercheurs chinois émettent leurs doutes sur le projet. D’un coût exorbitant (« la forêt la plus chère du monde »), il comporte aussi le risque de détraquer l’écosystème d’altitude, à commencer par sa chaîne alimentaire. Ours, renards, loups et lièvres dépendent d’une flore de haute montagne. La plantation d’arbres exogènes sous climat modifié fait risquer pestes et épizooties qui ne sont pas étudiées a priori, et peut-être sans remède.

-Un dernier projet porte à réfléchir : celui de la futuropolis de Xiong’an, à 140 km au sud de Pékin. Appelé par Xi Jinping à servir d’exemple du « rêve de Chine», ce chantier qui démarre sur le site de Baiyangdian fait l’objet d’investissements colossaux, tel une ligne de chemin de fer qui relie le satellite urbain à 1h20 de la capitale.

En sus d’un habitat haut de gamme parsemé de lacs et de canaux, Xiong’an doit devenir le « business hub » de la Chine du Nord, capable de rivaliser avec Shanghai et Shenzhen. Les industries vertes, biopharmaceutiques et électroniques doivent relayer leurs aînées vieillissantes du ciment et de l’acier. Le modèle à suivre est Shenzhen, ce miracle chinois qui convertit en 30 ans une pauvre bourgade de pêcheurs en une Silicon Valley.

Mais Qiao Runling, urbaniste à la NDRC (le chef d’orchestre de l’économie du pays) déclenche l’alarme : Baiyangdian et le Shenzhen de l’époque ne se comparent pas. Sur sa ligne de départ, le futur Xiong’an est dépourvu de tout réseau de PME, de tradition d’initiative privée, et d’un réseau fiable de crédit et d’industries. Pauvre depuis toujours, il a toujours été administré par le Parti, avec des directives de haut vers le bas. « Faute d’une vigoureuse réforme du marché et de la liberté d’entreprise, prévient Qiao, le miracle risque de faire long feu ».

Pour conclure, la multiplication de tels projets rend hommage à l’imagination de leurs auteurs, et aux moyens financiers illimités qui les appuient. Sur le fond, ces mirifiques projets de conquête « nucléaire » de l’espace, de forêt au-dessus de toutes les forêts, ou d’éco-cité dans une région reculée, correspondent avant tout à une logique politique, dans un pays où la quasi-totalité des projets sont publics et adoptés sous une grille de lecture idéologique. Ils répondent à un vieux rêve autoritaire de résoudre tous les problèmes par la technologie et l’investissement en masse, sans passer par la case « réforme ». Le succès de Xiong’An, voire de tout le développement futur de la Chine, pourrait en définitive dépendre de sa capacité à réformer.

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