Dans son institut de beauté, lumineux et aux tapisseries fleuries, à la mode du Hangzhou des années 2000, Xu Zhongbao, 34 ans, n’était pas peu fier de ses cabines de massage, du coin maquillage, de la zone réservée aux manucures…
Xu pouvait se dire bien servi dans la vie : son mariage avec Yuling, la fille-enfant d’un avocat d’affaires, et ses années d’épargne lui avaient permis d’acquérir et d’équiper dernier cri son centre de soins esthétiques en plein centre-ville.
Le salon affichait complet—la journée démarrait bien. Sauf que ce matin, Zhang Yile, masseur, fixait d’un œil noir son épouse Li Hua, elle aussi employée au salon. D’ordinaire généreuse en clins d’œil aux hommes, Li Hua cette fois gardait profil curieusement bas, hagarde et comme partagée entre exaspération et terreur. Entre ces deux-là à l’évidence, la nuit s’était mal passée. L’atmosphère électrique contrastait avec le ciel d’azur du Zhejiang en mai. Xu se demandait comment empêcher la crise d’éclater.
Or, il n’eut aucune chance, vu la violence de l’attaque subite : à la cantonade, tout à trac, Zhang accusa sa moitié d’avoir découché. Sans se démonter, Li Hua lui tint tête, rétorquant que lui-même, loin d’être un parangon de vertu conjugale, ferait mieux de se taire. Mais alors, Zhang se jeta sur l’infidèle, lui assénant un formidable coup à la tempe, la faisant s’affaisser inanimée. Alors, braillant de terreur, les clientes s’éparpillèrent dans toutes les directions, tandis que le mari se mettait en œuvre pour proprement étrangler son épouse. N’écoutant que son courage, Xu fonça pour détacher les mains de Zhang du cou de la coiffeuse—mais n’étant pas adepte de l’autodéfense, ne vit pas venir le crochet du gauche sur son nez – le sang jaillit. Alors, fou de rage, Xu se positionna derrière le forcené qui reprenait sa tentative de strangulation : il lui enfonça alors ses pouces dans les orbites, indifférent à ses hurlement, jusqu’à ce qu’une force supérieure finisse par lui faire lâcher prise, celle des policiers, emmenant l’entrepreneur menotté…
La suite eut lieu au tribunal, trois mois plus tard. Suite au pugilat, Zhang avait à jamais perdu la vue. Pour cette raison le juge, l’estimant assez puni, ne lui infligea pas de peine pour sa tentative de meurtre sur son épouse. Il n’en alla pas de même pour Xu, contre qui Zhang avait porté plainte, l’accusant de préméditation. L’argument fut retenu et Xu écopa de six ans fermes !
Pour Xu, ce fut une descente aux enfers. Entre les quatre murs de la prison, il n’avait ni ciel, ni liberté de ses pas, ni aucune des fantaisies qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. Finis, les bons restaurants, les karaokés entre amis, le marivaudage avec ces belles filles pimpantes et reconnaissantes au sortir du salon. Il n’y avait plus que le lever à 6h du matin, l’extinction des feux à 20h, les paillasses, les petites frappes sans envergure, et les paumés comme lui, pris dans le filet du destin.
Les malheurs arrivent toujours en escouade : deux ans après, une Yuling ne supportant plus l’absence permanente de son mari, réclama le divorce. Et comme il s’y refusait, elle vendit le salon – c’était son droit, la majorité du capital provenant de papa.
De toute manière, Xu se noyait sous les dettes : il avait été condamné à verser un lourd pretium doloris à Zhang, et son avocat ne venait plus le voir au parloir que pour lui réclamer ses honoraires en retard.
Cette vente fut néanmoins pour Xu un vrai crève-cœur—ce salon, c’était la preuve de sa réussite, la fierté de sa vie… Et pourtant, le pire était encore à venir. Pour le presser au divorce, Yuling se mit à appeler tous les jours sa belle-mère, lui serinant chaque jour les soi-disant turpitudes de son fils avant le drame… Elle lui causa telle honte que la septuagénaire, désespérée, s’éteignit en 2003.
Pour Xu, l’annonce du décès de sa mère et de funérailles auxquelles il ne put assister, causa chez lui un feu ardent de désespoir. Il souffrait de la disparition de celle qui lui avait donné la vie. Faisant face aux êtres malveillants de sa chambrée, il ne voyait plus de raison de se battre. Avec un bout de fer trouvé sur le promenoir, il tenta de se trancher les veines. Il fut sauvé par le maton Bao, qui l’avait à la bonne, puis interné 3 jours à l’infirmerie. Il tenta ensuite de se pendre en pleine nuit, à l’aide d’un drap tressé accroché aux barreaux du vasistas. Un détenu donna l’alerte, et le gardien vint à temps l’aider à le décrocher. Le jour suivant, deux geôliers, dont Bao, vinrent le voir au dispensaire pour l’adjurer de rester au monde des vivants. « Nous le savons depuis le 1er jour, lui firent-ils, tu n’es pas criminel, tu n’es pas comme les autres. Tu n’as pas eu de chance, c’est tout ! Conseil d’ami : pense à ta sortie. 2006, c’est demain ».
Cette phrase résonna dans la tête de Xu. Dès le lendemain, il commença à s’intéresser à ses codétenus. Discrètement, il se mit à écouter les délits dont chaque « délinquant invétéré » (怙恶不悛, hù’èbùquān ) se faisait gloriole : leurs cambriolages et vols à la tire, leur jeu du bonneteau qui les fait gagner à tous les coups, les vols en bande organisée. Il apprit le rôle spécifique du rabatteur, du pisteur, des bousculeurs, les carambouilles sur internet et 100 autres arnaques.
Ainsi, à sa sortie en 2006, à 40 ans, il devait repartir à zéro. Il connaissait bien toutes les combines de la pègre locale, ainsi que bien des bandits célèbres dans le milieu. Mais bien sûr, tout cela ne lui servirait à rien. Xu n’avait aucune idée de l’avenir qui l’attendait, mais il se connaissait assez pour savoir que jamais il ne tremperait dans la mauvaise vie…
Voulez-vous savoir comment rebondira Xu? La suite vous attend comme de coutume… au prochain numéro !
1 Commentaire
severy
27 novembre 2017 à 15:06Il n’y a pas de doute. On est vraiment intéressé d’apprendre comment quelqu’un qui a tenté de se suicider en se pendant va rebondir.