Résumé de la 1ère partie : le 17 octobre, à Dazu (Chongqing), Tan, se rend à la police, s’accusant d’avoir agressé une femme 24h avant et de lui avoir volé 100 yuans. Faute de preuve, les agents veulent le laisser filer, mais il proteste vigoureusement : il souhaite aller en prison « pour se mettre hors d’état de nuire »…
L’argument méritait qu’on s’y arrête. On reprit donc l’enquête, à fond cette fois. On fit subir à Tan des tests d’alcoolémie, de drogue : Rien, il était « clean ». On refit son interrogatoire de routine – sans gagner le moindre indice supplémentaire. On ramena alors Tan sur le lieu présumé du forfait. Et là, commencèrent à ap-paraître ses contradictions. Devant quel restaurant s’était-il planqué ? « C’était ici … Ah, mais non, c’était là ». À quelle heure était-il passé à l’ attaque ? « Mais à 22h30, je vous ai dit... » Sauf que la veille, il avait dit «23h30 » … Comment la femme, sa cible était-elle habillée ? «En tailleur, de couleur grise»… Sauf qu’en sa 1ère déposition, il avait parlé de col roulé et de minijupe…
Prié de désigner l’endroit sans lampadaire où il avait sorti son couteau, Tan en avait énoncé deux se référait à 2 à 3 lieux, à tout hasard. Pouvait-il refaire le geste d’ouvrir le cran d’arrêt ? Il s’en montrait piteusement incapable…
Et pourquoi diable la victime n’avait-elle pas porté plainte ? Telle passivité suite à une agression était improbable, une quasi-insulte à la logique des policiers ! Or plus les soupçons montaient, plus Tan se décomposait, redevenait petit garçon, réitérant sa plainte : « quand ça va finir, tout ça ? Quand je vais en prison ? »
De retour au bloc, les inspecteurs firent un brainstorming. Alors s’imposa la seule conclusion possible : ce jeune recroquevillé sur le banc et jetant en tous sens des regards apeurés, n’était qu’un affabulateur, qui voulait aliéner sa liberté. Pourquoi ? La raison demeurait enfouie, secrète – pour la trouver, il fallait l’écouter.
On le soumit une fois de plus à un feu roulant de questions, cette fois sur sa vie passée. Tan était fils uni-que de nouveaux riches. Ayant toujours pu imposer ses caprices, il était devenu paresseux. Il avait détesté l’ école, préférant les jeux vidéos, avec pour seule exception les sorties en boîte de nuit avec les copains.
Un de ses hauts faits, en 2009, avait été de rendre copie blanche au Gaokao (baccalauréat). Même sans avoir bachoté, il aurait pu, avec sa jugeote, décrocher le diplôme. Mais il avait voulu provoquer – et avait pleinement réussi. Depuis, il passait son temps entre son lit, jouant sur sa tablette, et le cybercafé.
En 2015 son père avait cru le guérir, le casant comme manutentionnaire à l’usine d’un ami. Mais après 3 semaines, Tan s’était enfui et quand ses chefs l’avaient appelé, il avait refusé de revenir, alléguant le stress. Le père lui avait encore déniché une place en or dans une agence de pub, mais très vite, il avait été congédié, pour sa tendance invétérée à mal remplir les missions les plus simples, quand il ne les esquivait pas.
Le jour du soi-disant «braquage», son père depuis une semaine lui coupait les vivres, espérant le forcer ainsi à se ressaisir. Chaque jour, Tan avait tenté de gratter quelques petits sous chez ses oncles et tantes –en vain– tous avaient été chapitrés…
La suite, il l’avoua à Zhang Huafa, l’officier quinquagénaire qui menait cet ultime interrogatoire, celui où le coupable, selon le scénario classique, est censé craquer. Tan avait eu trop honte d’affronter le regard de son père humilié par l’échec du fils. Pour autant, il n’était pas prêt à s’amender. Les vieux démons restaient tapis en lui, sur la défensive. Depuis toujours, Tan avait vécu selon ses désirs : que son père, Confucius, le Tao, et les autres, aillent se faire voir, et lui foutent la paix !
Contrairement à sa déposition, il n’avait pas fui le domicile, le 17 octobre. Il avait concocté ce scénario, téléphoné avec son portable depuis l’avenue bordant le fleuve, pour obtenir ce droit d’un refuge derrière les barreaux. C’était tout ce qu’il avait trouvé pour rester dispensé de travailler. Et s’il avait prétendu n’avoir obtenu comme butin qu’un maigre billet de 100 yuans, c’était qu’il n’avait rien de plus en poche, à « rendre » aux policiers en preuve de son agression : il était au bout du rouleau !
Épuisé par sa confession, il se tut. Zhang Huafa l’officier, prit alors la parole, et lui tint un stupéfiant discours : « tu veux aller en prison pour être nourri, logé, blanchi, c’est ca ? Mais as-tu pensé à la violence du monde carcéral, les vexations par les caïds, les humiliations des matons, qui te casseront, t’exploiteront et violeront? Tu veux te punir, pour ton inaptitude à assumer tes responsabilités ? Pour avoir failli aux attentes de ta famille, parce que au fond, tu te noies dans ta honte »…
« Mais j’ai une autre solution. Pour s’amender, on dit « vendre son épée et acheter un bœuf » (卖剑买牛 mài jiàn mǎi niú ). Pourquoi ne pas t’acheter un « bœuf » ? Tu pourrais ainsi découvrir le goût du travail !». « Si je te parle ainsi, poursuivit Zhang, la pogne sur l’épaule du garçon, c’est que ta situation, je la connais! J’ai un fils de ton âge—et lui aussi a failli mal tourner. A présent, il s’en est tiré—grâce à d’autres. En t’aidant, je paie ma dette, si tu veux me laisser te guider » !
Tan, abasourdi, redressa pour la première fois son regard, et soutint celui de l’officier, un regard plein de bonté humaine, presque celle d’un père de substitution. Un timide sourire apparut à ses lèvres. Tan était écrasé, mais comme soudain libéré et prêt, pour la première fois, à affronter la vie. Nonobstant, pour la bonne forme et les archives judiciaires, il ne put quitter le commissariat, qu’après avoir rédigé une autocritique jugée acceptable par le représentant de l’ordre public !
1 Commentaire
severy
26 novembre 2016 à 21:12Quelle histoire! J’en ai les larmes z-aux z-yeux.