Depuis son arrivée à la frontière sino-russe en août 2018, il n’aura fallu que neuf mois à la fièvre porcine africaine (FPA) pour se répandre sur l’intégralité du territoire chinois, de la Mongolie Intérieure, en passant par le Tibet, jusqu’à l’île tropicale de Hainan. A ce jour, c’est presque toute l’Asie qui est touchée : Mongolie, Vietnam, Cambodge, Corée du Nord, Laos, Philippines, Birmanie, et depuis le mois dernier, la Corée du Sud.
Parfois comparée au virus Ebola, elle est inoffensive pour l’homme, mais fatale pour les porcs, sangliers et phacochères. Cette maladie virale hémorragique devrait décimer 55% du cheptel porcin chinois d’ici la fin de l’année, soit plus de 200 millions de têtes, selon les dernières estimations de la banque néerlandaise Rabobank. Certains experts sont plus alarmistes et évaluent des pertes allant jusqu’à 80% dans certaines provinces. Même si les chiffres varient, tous s’accordent à dire que la progression irrésistible en Chine de la FPA est inédite depuis l’apparition du virus au Kenya il y a un siècle. On peut la retrouver partout, dans la faune sauvage, dans les petits élevages comme dans les grosses exploitations, sous les semelles des bottes des paysans, dans les camions, les abattoirs, dans les assiettes des restaurants, puis dans les poubelles… que l’on donne aux cochons !
Les rares paysans n’ayant pas perdu leur cheptel, engraissent leurs porcs jusqu’à ce qu’ils atteignent en moyenne 140 kg, soit 30 de plus qu’avant l’arrivée de l’épizootie. Ainsi, en vendant ces kilos supplémentaires, ils espèrent financer le renouvellement de leurs stocks. A Nanning, la capitale provinciale du Guangxi au sud du pays, un des porcs de Pang Cong pèse aussi lourd qu’un ours polaire (une demi-tonne) ! Les géants du secteur eux, tels Wens Foodstuffs, COFCO Meat, New Hope Liuhe ou Muyuan Foods s’en sortent plutôt bien, la hausse du prix du porc ayant compensé leurs pertes animales.
Car sur les marchés, le prix de la viande préférée des Chinois flambe, provoquant le mécontentement des petits portefeuilles…. Par défaut, les consommateurs chinois se rabattent sur d’autres viandes, comme le bœuf ou le poulet dont les prix augmentent dans le sillage de celui du porc. Une inflation qui n’est pas prête de ralentir, surtout à l’approche des fêtes du Nouvel An chinois le 25 janvier 2020.
Alors, le gouvernement chinois se lance alors dans le sauvetage désespéré de sa filière en misant sur la relance de sa production domestique. Des subventions ciblées sont promises aux élevages d’une taille suffisante pour améliorer leur niveau de biosécurité, et donc se protéger du fléau qui rode toujours, avec de nouveaux cas déclarés chaque semaine. « La maladie étant répandue sur tout le pays, l’isolement des rares élevages sains devient leur avantage. Mais la vigilance doit être maximale, l’hiver approchant, la baisse des températures peut le faire ressurgir dans les exploitations repeuplées », explique un expert vétérinaire. Ce redémarrage n’est donc pas sans risque : « il suffit d’une désinfection mal réalisée pour avoir à nouveau à en découdre avec le virus ».
En parallèle, le développement d’un vaccin est devenu prioritaire. Depuis un an, l’institut de recherche vétérinaire de Harbin (HVRI), le seul habilité à étudier le virus sur des animaux vivants, met les bouchées doubles. Bu Zhigao, directeur du centre, affiche sa détermination : « nous nous devons de contrôler la maladie, peu importe le coût ». Des essais cliniques ne devraient pas tarder à débuter, mais il faudra probablement plusieurs années avant qu’un vaccin puisse voir le jour. Mais cette course contre la montre peut être dangereuse. Dans les années 60 en Espagne et au Portugal, un vaccin expérimental testé sur 500 000 porcs sains se termina en désastre : un quart des bêtes tombèrent malades, ou moururent de pneumonie… Courant octobre, des scientifiques chinois dévoilaient une reconstitution 3D de la structure du virus : elle serait similaire à celles des micro-organismes qui causent la malaria et la tuberculose. Ses cinq couches le rendent particulièrement rare et complexe, tandis que son diamètre de 260 nanomètres est dix fois plus gros que celui de l’hépatite A. Son enveloppe étant extrêmement résistante, le virus peut survivre enterré pendant des mois, et dans un environnement gelé durant des années !
Enfin, la Chine cherche à booster ses importations auprès de ses fournisseurs traditionnels comme l’Espagne, l’Allemagne, le Canada (dont l’activité va pouvoir reprendre après un hiatus de quatre mois), les Etats-Unis (malgré des taxes douanières passées de 10 à 62%), le Danemark, les Pays-Bas, le Brésil et la France, qui se classe au 8ème rang. Déjà, en marge de la foire de Shanghai, la COFCO signait avec le producteur danois Danish Crown un joli contrat d’une valeur de 100 millions de $. Mais aucun de ces pays ne sera capable de combler l’appétit chinois : cette année, la Chine va manquer de 10 millions de tonnes. C’est plus que les quantités mondialement disponibles. Un professionnel du secteur commente : « le pic de contamination de la FPA est atteint, par contre la pénurie n’est pas encore à son point le plus critique ».
Alors les producteurs étrangers se demandent combien de temps ils disposent pour tirer parti de la carence chinoise. Selon un rapport du cabinet de consulting Gira commandé par les producteurs de porc américains, les exportateurs étrangers ont trois ans pour s’engouffrer dans la brèche. En effet, les importations chinoises atteindront un pic en 2022, resteront élevées jusqu’en 2025, mais avec des prix plus bas, avant de décliner progressivement au fur et à mesure que la production chinoise se remettra de la maladie en 2027. Toutefois, son niveau de production sera 13% moins élevé que celui d’avant la fièvre porcine. De plus, comme le porc coûtera plus cher, les consommateurs chinois modifieront leur régime alimentaire, au profit du poulet et du bœuf. D’ici 2040 seulement, les importations chinoises de porc retrouveront leur niveau de 2017-2018.
A tout le moins, cette crise porcine représente une opportunité pour les exploitations chinoises de se moderniser, au secteur de se restructurer et aux exportateurs étrangers de profiter de cette disette chinoise !
Sommaire N° 37-38 (2019)