Editorial : « If you’re going to San Francisco… »

« If you’re going to San Francisco… »

Oubliés les mots durs du sommet diplomatique d’Anchorage en 2021, enterrée la visite de Nancy Pelosi à Taïwan à l’été 2022, effacé l’épisode du ballon espion de mars dernier… A San Francisco, l’atmosphère de la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping en marge du sommet annuel de l’APEC (15 au 17 novembre), était étonnamment détendue, à en croire les pouces levés de Biden et les sourires, d’ordinaire plutôt rares, de Xi.

D’après la Maison Blanche, la rencontre a donné lieu à de « véritables progrès ». En effet, les Américains ont obtenu satisfaction sur les deux sujets qu’ils avaient publiquement affichés comme prioritaires : la réouverture des canaux de communication entre les militaires des deux pays, ainsi que l’engagement de Pékin de lutter contre les exportations illégales de fentanyl, l’opioïde de synthèse qui a fait l’an dernier 100 000 de morts par overdose aux Etats-Unis.

Les deux hommes se sont également engagés à mener des discussions sur l’intelligence artificielle, augmenter la fréquence des liaisons aériennes entre leurs pays respectifs et à favoriser les échanges humains. En outre, un accord sur la reprise de la coopération sino-américaine sur le climat a été conclu juste à temps pour la COP 28 qui se tiendra à Dubaï à la fin du mois.

C’est la première fois depuis le G20 à Bali, en novembre 2022, que les deux hommes se parlent, Xi ayant préféré envoyer son Premier ministre, Li Qiang, lors du dernier G20 à Delhi. C’est aussi la première fois que le président chinois se rend aux États-Unis depuis 2017. L’accompagnaient durant ce déplacement : son fidèle chef de cabinet, Cai Qi ; le n°1 de la diplomatie chinoise, Wang Yi ; le vice-ministre des Affaires étrangères, Ma Zhaoxu ; le ministre du Commerce, Wang Wentao ; le directeur de l’organe de planification de l’économie (NDRC), Zheng Shanjie ; et bien sûr, l’ambassadeur de la RPC à Washington, Xie Feng.

Si Joe Biden a obtenu plusieurs gestes de bonne volonté de la part de son homologue chinois, force est de constater que Xi Jinping, lui, repart plus ou moins les mains vides… Le Président américain n’a ni levé les barrières douanières érigées à l’époque de Donald Trump, ni assoupli les restrictions à l’exportation de semi-conducteurs vers la Chine. Lucide, Xi savait peut-être qu’à moins d’un an de l’élection présidentielle américaine qui s’annonce compliquée pour Joe Biden, il pouvait difficilement espérer mieux…

Pour le leader chinois, son tête-à-tête avec son homologue américain avait deux objectifs, qui relèvent davantage de la déclaration d’intention que de concessions tangibles du côté US : « stabiliser » (du moins jusqu’à la prochaine crise) les relations avec les Etats-Unis et rétablir la confiance des investisseurs étrangers.

Il suffit d’observer le virage à 180 degrés effectué par la propagande chinoise, présentant tout à coup les Etats-Unis, hier encore considéré comme l’ennemi n°1, comme un pays « ami », pour mieux comprendre les enjeux de cette visite pour Xi.

A l’international, il s’agissait de se présenter comme un leader responsable et coopératif, cherchant la coexistence pacifique avec les Etats-Unis malgré l’attitude confrontationnelle de Washington.

Au plan domestique, les médias d’Etat n’ont pas manqué de souligner l’hospitalité et le respect avec lesquels la partie américaine a accueilli Xi Jinping, manière de dépeindre Xi comme l’égal de Biden.

Le message-clé est le suivant : Xi est tout à fait capable de gérer la relation sino-US et c’est même lui qui donne le « la ». Qui aurait osé en douter ? La rumeur voudrait que certains anciens dirigeants du Parti se seraient risqués à réprimander Xi lors du dernier conclave de Beidaihe…

Quoi qu’il en soit, le Président chinois s’est montré nettement plus convaincant aux côtés de Biden que lors d’un dîner de gala (cf photo) rassemblant plusieurs dizaines de grands patrons américains (Tesla, Fedex, Boeing, Citigroup, Google, Apple, Pfizer…).

Dans son discours, Xi Jinping a fait l’éloge de l’amitié entre les peuples et a rappelé que la Chine est un pays au méga-marché d’1,4 milliard d’habitants dont la modernisation va profiter à tous. Des propos qui lui ont valu plusieurs « standing ovations » du public, qui semble n’avoir jamais cru une seule seconde au « découplage » économique un temps envisagé par le gouvernement américain.

Par contre, Xi n’a pas pipé mot sur la manière dont il compte revigorer l’économie chinoise ou inciter les entreprises étrangères à continuer d’investir. Car l’hémorragie a déjà commencé : au 3ème trimestre, la Chine vient d’enregistrer son tout premier déficit d’investissements directs étrangers (IDE).

Comme pour tenter de se rattraper, Xi a promis le lendemain, lors du CEO Summit de l’APEC, de réduire la liste noire des investissements, d’améliorer les conditions d’entrée et de séjour des étrangers et de supprimer les « goulots d’étranglements » dans le secteur de la finance, de la santé…

Mais rien qui ne puisse modifier radicalement le sentiment des firmes américaines à l’égard de la Chine, inquiètes du renforcement des contrôles au nom de la sécurité nationale et du durcissement engendré par la loi anti-espionnage.

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