Yu Minhong (俞敏洪), charismatique fondateur du n°1 du soutien scolaire New Oriental (新东方), fait contre mauvaise fortune, bon cœur.
Lors d’une session en live-streaming sur Douyin le 8 novembre, le patron a annoncé que son entreprise allait désormais vendre des produits agricoles (viande, poissons, fruits et légumes…) sur une nouvelle plateforme de e-commerce, notamment grâce à plusieurs centaines de ses anciens professeurs, reconvertis en « influenceurs ».
Quoique surprenante, cette reconversion a toutes les chances d’être bien vue par le gouvernement, puisqu’elle s’aligne sur son objectif de « revitalisation du monde rural », voire de « prospérité commune » en enrichissant les paysans.
Le PDG a pris cette décision radicale trois mois après que le gouvernement interdise aux firmes du tutorat de gagner de l’argent en enseignant des matières présentes au programme scolaire, comme le chinois ou les mathématiques. En appliquant cette réglementation, l’État espère faire baisser les coûts exorbitants de l’éducation qui pèsent sur les naissances, et réduire les inégalités.
Depuis l’introduction de ces nouvelles règles, la valeur de l’action New Oriental en bourse de New York et de Hong Kong, a été divisée par dix, ce segment d’activité représentant près de 80% des revenus du groupe. C’est un véritable coup de massue pour Michael Yu, qui voit son empire s’écrouler, mais aussi sa fortune personnelle divisée par quatre, à 7,5 milliards de yuans. Lors d’une réunion interne, le fondateur n’aurait pas pu retenir ses larmes… « L’ère du tutorat privé a pris fin », a-t-il sobrement commenté.
New Oriental a un temps envisagé de se diversifier en offrant des cours de pédagogie aux parents ou des services de garderie, mais le groupe a finalement préféré tourner la page en annonçant se retirer du marché du soutien scolaire. 1500 centres vont fermer (le mobilier sera offert à des écoles rurales) et 40 000 professeurs seront licenciés.
La firme s’est néanmoins engagée à rembourser tous ses clients et à payer tous les employés congédiés – une attitude « responsable » saluée par le public, alors que d’autres entreprises ayant fait faillite laissent des montagnes de dettes derrière elles… « Yu Minhong se tient sous la pluie, mais il n’oublie pas de tenir un parapluie pour les autres » (“自己淋着雨还不忘为别人打伞”), a commenté un internaute.
Né dans un petit village du Jiangsu, Yu Minhong a grandi dans la pauvreté. Cela ne l’a pas empêché d’intégrer la prestigieuse université de Pékin après deux tentatives, puis de quitter un emploi stable pour ouvrir sa propre école (cf photo) en 1993. Une « success story » qui a suscité l’admiration du pays entier.
Mais rien ne garantit que l’entrepreneur réussisse à nouveau son pari, le marché de la vente en ligne de produits frais étant déjà occupé par de redoutables concurrents, tel Pinduoduo, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 270 milliards de yuans en 2020 (deux fois plus que l’année précédente).
De plus, Michael Yu n’est pas le seul à s’intéresser à ce secteur : le fondateur d’Alibaba Jack Ma, a démontré ces derniers mois un soudain intérêt pour les technologies agricoles. Mais à l’inverse de Ma Yun, aujourd’hui méprisé par l’opinion, Yu Minhong a réussi à susciter l’empathie du public. Et si c’était là le véritable tour de force de cette reconversion ?
Sommaire N° 37 (2021)