Le 31ème Sommet de l’ASEAN se déroula à Manille (13-14 novembre), avec comme hôte Rodrigo Duterte, Président des Philippines, qui a acquis une rapide célébrité mondiale par une campagne sanglante encore en cours contre les trafiquants de drogue, et par cinq mois de guerre gagnée contre les séparatistes islamiques à Marawi sur l’île de Mindanao.
Le Sommet n’a pas enrayé, loin de là, le recul de l’influence américaine, ni l’avancée chinoise. En 48h, il rassembla les dix membres de l’organisation d’Asie du Sud Est, avec tous leurs partenaires mondiaux : les USA, la Chine, le Japon, la Corée, l’Inde, la Russie, sans compter l’Union Européenne qui fêtait avec l’ASEAN ses 40 ans de coopération. Mais le centre de toutes les attentions était bien sûr la Chine, représentée par le Premier ministre Li Keqiang.
Duterte s’est montré ami de la Chine, l’aidant à faire accepter à l’ASEAN ses sept îlots renfloués dans l’archipel des Spratley, depuis équipés d’aéroports et sérieusement armés. Avec Li Keqiang, il a consenti au principe de règlements bilatéraux sur tous conflits de souveraineté maritime – le contraire de ce que réclamait son prédécesseur Benigno Aquino III, le Vietnam et les Etats-Unis, qui souhaitaient organiser un front commun contre le géant chinois. Duterte a également accepté de suspendre (pour l’heure) le verdict de la Cour Internationale arbitrale de La Haye de 2016, qui était favorable à son pays et récusait à la Chine le droit d’occuper des îles philippines. Enfin, il a repoussé poliment mais fermement l’offre de Donald Trump qui proposait sa médiation, s’auto-déclarant «excellent arbitre ». Sur ce dernier point il n’a pas été le seul. Le Vietnam aussi a rejeté la proposition, se défiant des revirements de Trump, et redoutant de lui confier le sort de ses revendications sur ses propres eaux territoriales.
L’attitude de Duterte a été donc conciliante—et en décalage par rapport à son discours à ses électeurs la semaine précédente, où il se disait plein d’ardeur patriote et prêt à demander publiquement à Xi Jinping de « préciser ses intentions » sur les eaux occupées. À l’évidence, il s’est refréné. En remerciement de sa bonne attitude, Li Keqiang promettait au fantasque leader de poursuivre la coopération tous azimuts avec son pays, et offrait 22 millions de $ en guise de participation chinoise, pour tirer Marawi des ruines où l’a laissée cette guerre de rue.
A Manille, les négociateurs chinois marquaient aussi des points face à un Vietnam en apparence fort désireux de ne pas laisser entraver ses chances de développement par un envenimement de la querelle maritime. Xi Jinping avait été déjà reçu avec tous les honneurs à Danang lors du sommet de l’APEC (11-14 novembre), et en fin de sa visite d’Etat, avait signé avec Tran Dai Quang son homologue, 12 accords de coopération et 83 contrats pour 1,94 milliard de $, surtout en livraison de produits textiles et agricoles vietnamiens.
A propos du sujet principal—la mer de Chine du Sud, et la conclusion d’un code de conduite légal et contraignant entre les 10 Etats de l’ASEAN et la Chine, les participants du Sommet s’en sont frileusement tenus à une vague promesse de négocier le texte—promesse régulièrement réitérée depuis 2002, ce qui n’a pas empêché Pékin depuis lors, de créer sa grappe d’îlots fortifiés.
En marge du sommet de Manille, un des six autres meetings internationaux à l’agenda, sous l’égide de la Chine, était la reprise du dialogue dit « Regional Comprehensive Economic Partnership » (RCEP), projet conçu par Pékin au cours des années Obama pour faire échec à la tentative d’accord économique transpacifique (TPP) à l’initiative du Président américain, à 12 pays sans la Chine. Ce projet avait failli aboutir, signé par tous les membres, avant de capoter en janvier dernier à cause du retrait unilatéral des Etats-Unis imposé par le successeur d’Obama, D. Trump. Dès lors, le TPP, tronqué de son partenaire principal, semblait condamné à mort face à un RCEP à 16 pays qui incluait en outre la Russie et l’Inde.
Or, la principale nouvelle du Sommet de Manille tient à la résurgence du TPP et aux négociations du RCEP qui font du sur-place, en une 20ème session sans avancée. Les débats achoppaient sur le type de zone de libre-échange à créer, les listes de produits à inclure ou exclure, et l’étendue des concessions mutuelles. En même temps, les 11 pays rescapés du TPP réitéraient leur demande de ressusciter cet agrément transpacifique, sous l’acronyme CPTPP (Comprehensive Progressive TPP).
La nouvelle pose évident problème à Pékin : les sept pays présents dans les deux rondes de négociation, préfèrent aujourd’hui retourner à l’ancien accord américain. Question d’intérêts géopolitiques et de la capacité des membres à standardiser leurs normes. En 2016, une équipe de chercheurs à l’université Nankai de Tianjin affirmait qu’une conclusion positive du RCEP apporterait à la Chine 88 milliards de $ de PIB supplémentaire. A l’inverse, une « victoire » du CPTPP lui coûterait 22 milliards. En cas de signature des deux traités, la Chine gagnerait 72 milliards de $…
Autant dire qu’il serait utile à la Chine de changer sa vision du monde, au moment de partir à sa conquête économique. En apprenant à partager et à ne pas imposer à ses « petits partenaires » ses manières de faire, elle ne peut qu’y gagner, même si l’effort sera énorme, et même si elle n’y est manifestement pas prête, du fait de sa grille de lecture idéologique encore très présente, héritage du passé.
Sommaire N° 37 (2017)