Le Vent de la Chine Numéro 36 (2024)
Imaginez un futur pas si lointain où le ciel serait sillonné de taxis volants survolant les bouchons et où vos achats sur internet seraient livrés par drones sur votre balcon en un temps record. Ce ne sera bientôt plus de la science-fiction dans les villes chinoises, qui cherchent par tous les moyens à développer la mobilité aérienne en dessous des 1000 mètres d’altitude, afin de transporter sur de courtes distances du matériel, des passagers ou des touristes.
Ce concept, également appelé « économie de basse altitude » (低空经济, dīkōng jīngjì), a été officialisé pour la première fois par le gouvernement chinois en 2021, puis été désigné comme « priorité économique majeure » en décembre 2023. Selon les estimations de l’Administration de l’aviation civile (CAAC), le marché représentera 2000 milliards de yuans (280 milliards de $) en 2030, contre 500 milliards de yuans (70 milliards de $) en 2023.
Jusqu’à présent, les drones s’étaient particulièrement illustrés dans les campagnes, où ils permettaient aux agriculteurs de surveiller leurs troupeaux ou de pulvériser des pesticides et des engrais sur leurs champs. Mais aujourd’hui, ce sont leurs cousins « urbains » à cockpit qui sont à la mode : les véhicules électriques à décollage et atterrissage vertical (acronyme en anglais, « eVTOL »). Ces aéronefs présentent l’avantage d’être moins polluants et plus silencieux que les hélicoptères « classiques », en plus d’être moins onéreux.
Et chacun y va de son initiative. En février dernier, le premier vol de démonstration de taxi aérien électrique interurbain au monde a été effectué entre les villes de Shenzhen et Zhuhai, pour une durée de voyage de 20 minutes au lieu de 2 heures par voie terrestre. En avril, l’entreprise EHang – cotée au Nasdaq – a obtenu de la CAAC, le premier certificat national de production pour son « EH 216-S », véhicule autonome qui peut embarquer deux passagers et filer à 130 km/heure avec une autonomie de 25 minutes et une portée de 35 km. En août, c’est Meituan qui envoyait ses premiers drones à la rescousse des touristes souffrant de la chaleur sur la Grande Muraille (cf publicité). Enfin, en septembre, c’est Shanghai qui a donné son feu vert à un service de taxi volant entre sa nouvelle zone de Pudong et la ville voisine de Haining.
C’est un revirement assez impressionnant lorsqu’on sait que l’espace aérien chinois était encore jusqu’à hier strictement contrôlé par l’armée, avec des autorisations pour des déplacements privés difficiles à obtenir sans fournir un plan de vol longtemps à l’avance et un statut juridique des vols de drones plutôt flou.
Cela a changé rapidement au cours de l’année dernière, lorsque la CAAC a publié des directives désignant l’espace aérien sous 300 mètres (où les drones évoluent généralement), comme « sans restriction », sauf dans les zones proches des aéroports.
En parallèle, ce mois-ci, l’organe de planification de l’économie (NDRC) a créé un département spécialement chargé de coordonner les politiques du secteur, tandis que six grandes villes ont été désignées comme zones pilotes pour les « eVTOL » : Chengdu, Chongqing Suzhou, Hangzhou, Hefei et bien sûr, Shenzhen.
C’est en effet la « Silicon Valley chinoise » qui est sans doute la plus avancée en matière de « mobilité aérienne urbaine », étant la terre d’accueil du leader mondial des drones civils, DJI, mais aussi de 1500 autres sociétés évoluant dans ce domaine. Consciente de cet atout, Shenzhen a dévoilé en décembre 2023 un plan ambitieux pour développer la filière, couplée à une politique de subventions tous azimuts (environ 200 millions de yuans par an). Ainsi, la ville prévoit d’établir plus de 200 couloirs aériens et de construire plus de 600 mini-aéroports d’ici à 2025, tandis que le nombre de vols à basse altitude dépassera le million par an. Elle va également construire plus de 8000 nouvelles stations 5G pour améliorer la couverture réseau sous les 600 mètres. Nul doute que l’initiative fera des émules dans d’autres villes chinoises…
Bien sûr, la Chine n’est pas la seule à se lancer dans cette course sous les nuages. Les leaders de l’aéronautique, Airbus et Boeing, les champions des VTC et du e-commerce, Uber et Amazon, ainsi qu’une myriade de PME en Europe et aux Etats-Unis, sont aussi sur les rangs.
Cependant, certains experts avancent que les entreprises chinoises sont bien positionnées pour briller dans ce domaine. En effet, EHang, Xpeng, ZeroTech et consorts pourront s’appuyer sur une solide base industrielle, un savoir-faire indéniable glané par les constructeurs chinois de véhicules électriques dans les batteries notamment, mais aussi sur une politique volontariste de l’Etat qui compte bien créer une chaîne d’approvisionnement 100% chinoise pour cette nouvelle filière aéronautique, allant des matériaux aux logiciels pour les vols automatisés.
C’est donc en quelque sorte un nouveau « bond en avant » que la Chine prépare, misant tout sur les drones de transport électriques et délaissant les hélicoptères. Elle avait utilisé la même stratégie dans l’automobile en passant directement à l’électrique, sans s’attarder sur les moteurs thermiques… Il faudra néanmoins attendre encore un peu pour voir ces drôles d’oiseaux entrer en service commercial à une large échelle, probablement pas avant 2035.
Incontournables, ils représentent le réseau le plus dense et le plus invisible de nos communications : ce sont les câbles à fibre optique qui sillonnent les fonds marins de la planète sur une longueur totale de 1,4 million de kilomètres, soit environ 35 fois le tour de la Terre ! Selon TeleGeography, une société de recherche qui surveille le secteur des télécommunications, ces câbles seraient au nombre de 400 à 600 et transporteraient plus de 95 % des données du trafic internet international, y compris les communications vocales.
Cette prépondérance dans l’usage vient de la capacité de ces câbles, de l’ordre du térabit par seconde, alors que les satellites n’offrent généralement que 1 000 mégabits par seconde et présentent une latence plus élevée. Revers de la médaille : la construction d’un système de câble sous-marin transocéanique multitérabit typique coûte plusieurs centaines de millions de $.
En raison de leur coût et de leur utilité, ces câbles sont très prisés non seulement par les entreprises qui les construisent et les exploitent, mais aussi par les gouvernements nationaux. Les câbles sous-marins sont importants pour l’armée moderne ainsi que pour les entreprises privées. L’armée américaine, par exemple, utilise le réseau de câbles sous-marins pour transférer des données depuis les zones de conflit vers le personnel de commandement aux États-Unis. Ainsi, l’interruption du réseau de câbles pendant des opérations intenses pourrait avoir des conséquences directes sur le terrain. De fait, ces conduits de données, qui transmettent tout, des e-mails et transactions bancaires aux secrets militaires, sont aussi vulnérables aux attaques de sabotage et à l’espionnage.
Plusieurs affaires récentes ont illustré le caractère hautement stratégique de ces câbles, cibles privilégiées dans la guerre hybride qui se joue entre grandes puissances. Comme souvent, Taïwan jouit du privilège d’être aux avant-postes de la guerre hybride chinoise et sert de terrain d’essai pour la ligne de front mouvante des conflits en zone grise. Le risque que des câbles sous-marins soient impliqués dans un conflit entre la Chine et l’île autonome de Taïwan a été mis en évidence en février 2023. Deux câbles de communication reliant Taïwan à ses îles Matsu, situées à proximité de la côte chinoise, ont été coupés. Les 14 000 habitants de ces îles ont été déconnectés d’internet. Les autorités taïwanaises ont déclaré qu’elles soupçonnaient un bateau de pêche et un cargo chinois d’être à l’origine de la perturbation. La Chine peut donc se prévaloir d’une forme d’expertise sur le sujet.
Un autre évènement récent, qui s’est produit dans la mer Baltique, illustre toutes les potentialités de « l’amitié sans limite » entre Pékin et Moscou et pourrait constituer l’un des cas de collaboration le plus net dans la tentative de déstabilisation conjointe de l’Europe.
La semaine dernière, deux câbles sous-marins à fibre optique reliant la Scandinavie au continent européen ont été sectionnés à 24 heures d’intervalle : les câbles reliant la Finlande à l’Allemagne et la Lituanie à la Suède passaient sous la mer Baltique. Les responsables européens, pourtant le plus souvent prudents, soupçonnent que ces coupures ne sont pas accidentelles. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a déclaré : « Personne ne croit que ces câbles ont été sectionnés par accident. Nous devons comprendre, sans savoir précisément de qui il s’agit, qu’il s’agit d’une action hybride et nous devons également supposer, sans savoir encore par qui, qu’il s’agit d’un sabotage ».
En août, les responsables russes ont averti que les câbles sous-marins et la perturbation de l’internet mondial étaient devenus une « cible légitime ». Une enquête menée en 2023 a révélé que la Russie exploitait une flotte de prétendus bateaux de renseignement dans les eaux nordiques, soupçonnés de cibler des parcs éoliens et des câbles sous-marins. Ce qui rend l’incident particulièrement intéressant est que le bateau à partir duquel aurait été activés ces opérations est chinois, sous commande russe : le Yi Peng 3 a quitté le port russe d’Oust-Luga le 15 novembre, et la rupture du câble est présumée avoir eu lieu le 17 novembre. Il était censé arriver à Port-Saïd en Égypte le 3 décembre mais, du fait des soupçons pesant sur ces activités, le bateau est ancré dans les eaux danoises et l’armée danoise maintient une « présence à proximité du navire ». On se rappelle qu’en 2023, un câble à fibre optique entre la Finlande et l’Estonie avait été coupé et que cet incident avait été imputé à l’ancre d’un navire chinois. En conséquence, les alliés de l’OTAN s’efforcent de sécuriser les câbles sous-marins, en ne collaborant plus avec des entreprises ayant des liens avec la Russie ou la Chine.
Ce que cet incident montre est la perturbation des lignes de communication est devenu un facteur important de la guerre tactique permettant de prendre le dessus sur les forces adverses. Depuis 2020, les États-Unis exhortent les pays de la région Asie à éviter de faire appel à une entreprise chinoise pour réparer ou poser de nouveaux câbles au fond de la mer, de peur que la Chine puisse intercepter et surveiller les communications sensibles transitant par ces câbles. Ils exhortent également les entreprises à acheminer de nouveaux câbles autour du périmètre de la mer, en évitant la partie centrale de la voie navigable revendiquée par la Chine sur la base de cartes historiques montrant une ligne à 10 traits qui empiète sur les zones économiques exclusives de plusieurs autres pays.
Au cœur des préoccupations se trouve le chinois HMN Technologies, le dernier entrant dans le domaine spécialisé de la pose de câbles, qui était auparavant dominé par seulement trois entreprises : l’américain, SubCom, le français, Alcatel Submarine Networks et le japonais, Nippon Electric Company. HMN Technologies appartenait autrefois à Huawei et est toujours considérée par les États-Unis comme une filiale du géant technologique chinois, dont les équipements ont été interdits aux États-Unis et dans d’autres pays par crainte qu’ils puissent être utilisés pour faciliter l’espionnage chinois.
En septembre, les États-Unis ont fait pression sur le Vietnam pour qu’il évite d’utiliser HMN Technologies dans ses projets de construction de 10 nouveaux câbles sous-marins d’ici 2030. Dans ce qui semble être une mesure de rétorsion, la Chine a retardé l’approbation des permis accordés aux entreprises souhaitant réparer ou installer de nouveaux câbles sous-marins en mer de Chine du Sud. Ces retards sont particulièrement préoccupants pour des pays comme le Vietnam, qui souhaite remplacer cinq câbles vieillissants qui sont tombés en panne à plusieurs reprises, ralentissant le trafic internet dans le pays. Les permis de travaux de pose de câbles, qui étaient autrefois approuvés par la Chine en moins de 10 jours, prennent désormais jusqu’à quatre mois et sont parfois rejetés sans justification.
Ainsi, la guerre des câbles s’accélère et l’incident en mer baltique semble indiquer que la Russie et la Chine pourraient être entrés dans une alliance tactique qui ne dit pas encore son nom.
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