Hier encore surnommé « le prince du Piano » (钢琴公子), Li Yundi (李云迪) a été arrêté par la police de Pékin pour avoir fréquenté une prostituée (嫖娼 ; piáochāng).
Si le Bureau municipal de la Sécurité publique a dévoilé à demi-mot l’identité du prévenu le 21 octobre, le Quotidien du Peuple n’a pas tardé à confirmer qu’il s’agissait bien du virtuose du clavier. « Le piano a des touches noires et blanches, qui ne peuvent être teintées de jaune [couleur à la symbolique pornographique]. (…) Seules les personnalités moralement intègres et qui respectent la loi, ont un avenir » a taclé le journal officiel du Parti.
La nouvelle a fait l’effet d’un raz-de-marée sur la toile chinoise, le hashtag en lien avec son arrestation ayant été vu plus de 3,6 milliards de fois sur Weibo. C’est en devenant le plus jeune lauréat du prestigieux concours Chopin à l’âge de 18 ans, que le pianiste de Chongqing voit sa carrière propulsée à l’international, se produisant au Carnegie Hall (New York) ainsi qu’avec l’orchestre philharmonique de Berlin et de Vienne. Fierté de son pays d’origine, Li Yundi a été invité cinq fois à se produire lors du gala du Nouvel An lunaire de la CCTV, qui a la réputation de sélectionner uniquement les artistes « politiquement corrects » au « comportement exemplaire ».
Les circonstances de l’arrestation du musicien de 39 ans restent floues. Officiellement, des membres des comités de quartier du district de Chaoyang – reconnaissables à leurs brassards rouges – auraient anonymement dénoncé Li Yundi et sa péripatéticienne de 29 ans à la police…
Ces volontaires n’en sont pas à leur 1er coup d’essai : en 2014, leurs informations avaient apparemment conduit à l’interpellation d’une quinzaine de célébrités (chanteurs, écrivains, acteurs, réalisateurs… cf photo) pour diverses offenses (drogue, prostitution, jeux d’argent…). Un tableau de chasse qui leur a valu auprès du public, le surnom de « 5ème plus grande agence de renseignement au monde » (第五大情报组织), après la CIA, le MI6, le KGB et le Mossad…
Certains internautes ont toutefois du mal à croire en cette version des faits, cette accusation étant régulièrement utilisée en politique pour écarter des opposants… Le pianiste aurait-il été piégé ? Aurait-il fait les frais de la chute de quelqu’un d’influent ? Le recours à du sexe tarifié cacherait-il un crime plus grave ?
La rumeur voudrait que la police ait d’abord arrêté la « call-girl », puis aurait trouvé le contact de Li Yundi dans son téléphone, parmi ceux d’autres clients… Il se murmure que le pianiste aurait déjà été arrêté une fois en début d’année pour la même infraction, mais que l’affaire n’avait pas été rendue publique.
Cette fois-ci, les forces de l’ordre auraient donc délibérément révélé l’identité de Li Yundi afin de faire de lui un exemple, dans un contexte de reprise en main généralisée du monde du divertissement. Depuis cet été, une demi-douzaine de célébrités « immorales » sont tombées en disgrâce pour des motifs différents (viols, évasion fiscale…) ou encore non divulgués. C’est le cas du chanteur Kris Wu, de l’acteur Zhang Zhenan, de la comédienne Zheng Shuang, de l’actrice et femme d’affaires Zhao Wei, et du compositeur Gao Xiaosong…
Li Yundi devrait connaître le même sort. Le prodige du piano s’est déjà vu retirer ses titres honorifiques et son statut de membre au sein des associations artistiques officielles. Ses comptes sur les réseaux sociaux ont été suspendus, son visage dans le dernier épisode d’une émission de télé-réalité a été flouté, et ses posters accrochés aux murs des écoles de musique ont été mis à la poubelle… C’est la fameuse « culture de l’effacement » (ou « cancel culture » en anglais, 取消文化 ; qǔxiāo wénhuà) si caractéristique de l’internet chinois.
Même s’il n’encourt que 5000 yuans d’amende et 15 jours de détention, le virtuose de 39 ans pourrait bien voir sa carrière brisée – du moins en Chine. Quelques musiciens et commentateurs ont tout de même osé prendre la défense de l’artiste, arguant que même s’il mérite d’être sanctionné, la vindicte publique dont il a été victime n’est pas justifiée. « La société chinoise devrait faire preuve d’un peu plus de tolérance, surtout pour un talent de son calibre », écrit l’un d’entre eux.
Talent ou pas, il parait improbable que ce paramètre entre en ligne de compte pour les autorités, qui paraissent déterminées à poursuivre leur campagne de « rectification » du secteur dans les mois à venir. Dans un tel contexte, il est encore plus crucial pour les marques (étrangères notamment) de bien choisir leurs ambassadeurs et ainsi éviter tout faux pas…
1 Commentaire
severy
8 novembre 2021 à 18:23Félicitations aux valeureux membres des comités de bas-quartiers, pathétiquement tendus vers la gloire posthume qui les attend au paradis des dénonciateurs. Ces pourfendeurs de la vie privée, voyeurs impénitents à l’élévation d’esprit de taupes fouineuses trahiraient amis, enfants et parents pour un regard de feinte reconnaissance de quelque sous-fifre préposé aux tampons. Ah, que vienne le temps de l’arroseur arrosé!