« Que pas un seul ne manque » (一个都不能少) ! Comme tous les dix ans, la Chine remet à l’ordre du jour son fameux slogan à l’occasion du recensement (普查, pǔchá), le 7ème depuis 1953. Et capturer l’évolution démographique et sociale du pays le plus peuplé au monde, du fin fond des steppes de Mongolie-Intérieure aux tours résidentielles de Chongqing, n’est pas une mince affaire…
Sept millions de bénévoles ont été recrutés pour ce porte-à-porte qui durera plus d’un mois (du 1er novembre au 10 décembre) et dont les premiers résultats seront révélés en avril 2021.
Pour montrer l’exemple, le Président Xi Jinping, le vice-président Wang Qishan et les six autres membres du Politburo se sont pliés à l’exercice (télévisé) le premier jour, conscients que le recensement a été accueilli avec réticence par certains de leurs concitoyens dans le passé. Parmi eux, des centaines de millions de travailleurs migrants vivant dans les grandes villes sans papiers, qui préfèrent éviter tout contact, de près ou de loin, avec l’administration… Il y a aussi les parents d’enfants conçus en dehors du planning familial, qui ne veulent pas déclarer leur progéniture de peur d’avoir à s’acquitter d’une amende au montant astronomique. Sans compter les hors-la-loi qui donnent de faux noms… C’est ainsi que le recensement de 2010 a révélé que 74 millions de personnes manquaient à l’appel (+5,8%) pour atteindre une population de 1,34 milliard d’habitants. Un chiffre que l’Etat s’attend à réajuster de 6% cette année à 1,42 milliard.
Il sera en effet plus difficile d’échapper au recensement : toutes les personnes sondées devront communiquer leur numéro d’identité – ou de passeport pour les étrangers. Et fini le questionnaire papier avec code-barre ! Le code QR et l’application mobile font leur apparition, permettant aux sondés de remplir eux-mêmes le questionnaire sans la présence des inspecteurs. Dans les régions connaissant un regain de cas de Covid-19 – comme à Kashgar (Xinjiang) récemment – l’enquête sera réalisée par téléphone ou en ligne. Une numérisation qui ne fait pas l’unanimité, les citoyens craignant pour la protection de leurs données privées. « Aucun souci à se faire, les informations resteront strictement confidentielles et seront seulement exploitées dans le cadre du recensement », promet le gouvernement… Autre préoccupation : comment être sûr que les personnes qui frappent à la porte ne sont pas des escrocs se faisant passer pour des agents chargés du recensement ? Sur la toile, des astuces étaient dévoilées pour repérer les faux bénévoles : leurs badges sont mal copiés et leurs questions trop pressantes, particulièrement au sujet des revenus…
Parmi les 19 questions posées (jusqu’à 48 pour 10% des sondés), certaines sont basiques (âge, sexe, ethnicité, profession, niveau d’étude, statut marital, nombre de personnes dans le foyer, lieu d’enregistrement du « hukou », permis de résidence), d’autres plus intrusives (surface du logement, montant du loyer, propriétaire ou non d’une voiture ou de terrains à la campagne ; état de santé pour les plus de 60 ans). Une question a fait également son apparition : « avez-vous des membres de votre famille à Hong Kong, Macao ou Taïwan » ? Le thème de la religion est par contre soigneusement évité…
Comme les éditions précédentes, le recensement s’annonce riche en enseignements. Ce sondage à l’échelle national est réputé plus fiable que les données fournies par les districts urbains, qui ont la facheuse tendance à réduire leurs chiffres de manière à respecter les quotas de population, tandis que les autorités locales préfèrent elles gonfler leur nombre de naissances pour obtenir davantage de subventions de l’État. En se basant sur les résultats du recensement de 2010, deux chercheurs, Huang Wenzheng et Liang Jianzhang, ont d’ailleurs récemment dévoilé que les naissances avaient été surévaluées de 5 millions pour la seule année 1997.
Ainsi, les résultats du décompte national permettront de constater avec précision le déséquilibre entre les sexes, de mettre à jour la pyramide des âges, de prendre la pleine mesure du vieillissement de la population et de la chute de population active, de mieux représenter les flux de migrations, mais aussi de constater que ni la fin de la politique de l’enfant unique depuis 2016, ni le confinement lié à la Covid-19, n’ont créé le « baby-boom » attendu. L’an dernier, les naissances étaient au plus bas depuis la fin de la Grande Famine en 1961…
De ces chiffres dépendront directement la construction d’écoles, d’hôpitaux et de maisons de retraite pour les prochaines années, mais aussi certains réajustements macroéconomiques inclus dans le plan quinquennal à venir en mars 2021. Ils pourraient enfin convaincre le leadership de l’importance de réformer le droit du sol, le système de « hukou » et surtout le planning familial. C’est ce que plaide un institut de recherche affilié au promoteur immobilier Evergrande : « la population chinoise est sensiblement surévaluée [jusqu’à 115 millions de trop selon Yi Fuxian, démographe à l’université de Wisconsin-Madison], il devient donc urgent d’autoriser trois enfants par couple, sans quoi la réjuvénation de la nation chinoise [chère à Xi Jinping] sera hors de portée et l’ascension de la Chine en tant que grande puissance sera compromise ». Signe de bonne augure : les grandes lignes du 14ème plan et de la projection « Vision 2035 » ne font aucune référence au planning familial, mais seulement à une politique de natalité « inclusive ». Faut-il y voir une future annonce de l’abolition du contrôle des naissances ? Un abandon progressif serait plus probable.
Sommaire N° 36 (2020)