En moins d’une semaine, le Président Xi Jinping rencontrait ses homologues (et voisins) pakistanais, indien et népalais. Entre le quatuor, le jeu d’influence est complexe.
Lors de sa venue en Chine (7-8 octobre), l’allié pakistanais Imran Khan avait plusieurs demandes pour Xi. Islamabad cherchait l’appui de Pékin pour échapper à la liste noire du financement du terrorisme (GAFI), et son soutien dans le conflit du Cachemire qui l’oppose au grand rival indien. Puis Xi s’envolait à la rencontre de Narendra Modi à Mamallapuram (au sud de Chennai) pour leur second sommet informel (11-12 octobre), après celui de Wuhan l’an dernier. Les deux hommes n’évoquèrent aucun sujet qui fâche (leurs différends frontaliers, la révocation de l’autonomie du Cachemire indien), pour se concentrer uniquement sur les questions économiques. D’abord, Modi fit part de ses inquiétudes concernant l’accord de libre-échange régional (RCEP) proposé par la Chine. Puis il demanda la réduction du déficit commercial de son pays avec la Chine (53 milliards de $) et plus d’accès au marché chinois pour les entreprises indiennes, notamment pharmaceutiques. En échange, Xi appela l’Inde à considérer la candidature de Huawei pour son réseau 3G, sans tenir compte des pressions américaines. Surtout, il aurait souhaité que Modi revoie ses positions concernant les nouvelles routes de la soie (BRI).
Enfin, Xi Jinping termina sa tournée sud-asiatique par le Népal (12-13 octobre), première visite présidentielle chinoise dans le pays depuis 23 ans. Enclavé, le petit pays cherche à améliorer sa connectivité avec la Chine, étant dépendant de l’Inde pour deux tiers de ses importations et pour son pétrole. A la clé de cette rencontre, Katmandou obtenait une ligne ferroviaire de 70 km partant de la capitale népalaise jusqu’à Gyiron au Tibet, et un tunnel de 28 km permettant de diviser par deux le temps de trajet jusqu’à la frontière chinoise. Ces projets seront intégrés à l’initiative BRI. En contrepartie, Pékin espérait signer avec le Népal un traité d’extradition. S’il est acté, certains experts craignent que les 20 000 réfugiés tibétains au Népal n’en fassent les frais. Finalement, Xi n’obtint qu’un pacte d’assistance mutuelle en matière de criminalité, le Népal étant déjà engagé dans de longues tractations avec le voisin indien pour revoir leur propre accord d’extradition.
Sur la même thématique, Xi Jinping faisait une allusion menaçante à Hong Kong lors de la visite népalaise : « quiconque se livre au séparatisme dans une quelconque partie de la Chine sera réduit à l’état de poussière et taillé en pièces ». Le jour même, un policier hongkongais était attaqué à la gorge au cutter, et une bombe artisanale télécommandée explosait près d’un commissariat, sans faire de victimes. Cet engrenage violent affaiblit la crédibilité du mouvement à l’approche des élections des conseils de districts le mois prochain. Il donne aussi une excuse tout faite à ceux qui veulent le réprimer. Dans l’autre camp, les attaques sanglantes d’activistes et de manifestants font encore monter la colère… Or, la désescalade sera impossible si elle ne provient pas des deux camps. En une tentative d’apaisement, la cheffe de l’Exécutif Carrie Lam prenait la parole le 16 octobre devant le Parlement hongkongais. Elle fut cependant contrainte de s’interrompre devant les huées de l’opposition. Mme Lam présenta alors, en un message vidéo, 200 initiatives, parmi lesquelles des allocations pour les étudiants et familles à bas revenu, et des conditions de prêts immobiliers simplifiées pour une première acquisition. Mais comment espérer résoudre une profonde crise politique par des mesures économiques ?
C’est alors que les États-Unis s’immiscèrent dans le conflit. Le 15 octobre, la Chambre des Représentants du Congrès américain approuva un projet de « loi sur les droits de l’Homme et la démocratie à Hong Kong » qui conditionne le statut économique spécial accordé par les USA à l’ancienne colonie britannique, à une évaluation annuelle du respect des droits civils dans la RAS. Le texte doit encore être discuté au Sénat. En réaction, Pékin dénonça un « complot politique », accusant Washington de soutenir ouvertement les radicaux hongkongais.
Ce projet de loi pourrait-il compromettre le mini-accord commercial annoncé le 11 octobre entre Chine et États-Unis ? A en croire le vice-Premier ministre Liu He, les négociations vont dans le bons sens. Car même si la Chine s’est engagée à acheter des dizaines de milliards de produits agricoles américains (dont elle a besoin), elle doit d’abord baisser ses propres tarifs douaniers afin de booster ses achats. Or, Pékin ne le fera que si Washington fait de même !
Sommaire N° 36 (2019)