Economie : Privé / public – la remise à niveau

Depuis le printemps, un mécanisme était lisible dans l’économie chinoise, soutenu implicitement par l’Etat : la ségrégation du privé au profit du public dans l’accès au crédit bancaire, et le rachat par les conglomérats publics de groupes privés en difficultés financières. Un principe économique qui a un nom : « l’Etat avance et le privé recule » (guó jìn mín tuì , 国进民退).

Or, les 20-21 octobre, on assistait à un retournement de stratégie : à l’occasion d’un meeting national, d’une conférence de presse et par le biais d’une lettre ouverte, le gouvernement lançait une campagne visant à remettre en selle le secteur privé, moteur de l’économie.

Signée du Président Xi Jinping, la lettre aux entrepreneurs privés promettait de les protéger, de leur offrir un « meilleur lendemain » – aveu implicite que le passé, voire le présent, leur ont été néfaste.

Le 20 octobre, lors de sa 10ème réunion en deux mois, la Commission du Conseil d’Etat de stabilisation financière et du développement prétendait rendre au secteur privé une base de financement solide et équitable.

Pour ce faire, le premier outil devait être la bourse : Pékin voulait enrayer son dévissage sévère depuis janvier, -36% à Shanghai, -60% à Shenzhen. Les gestionnaires de fortune, à la tête d’un pactole de 16.000 milliards de $ non régulé, sont invités à y investir, sous contrôle de leur tutelle. Les assurances peuvent y placer à long terme, et les firmes cotées sont encouragées à racheter leurs parts pour renforcer la valeur du titre. Fusions et acquisitions se feront en fonction de critères « de marché », et non plus selon des considérations politiques (comme de créer en chaque secteur, des conglomérats géants). La Commission ressort aussi la vieille offre de projets privés-publics (PPP) et d’ouverture au privé du capital des banques, assurances et courtages d’Etat.

La conférence de presse fut donnée par Liu He, bras droit de Xi Jinping. Dénonçant le refus des banques de prêter au privé, Liu He dévoilait son plan dit des « quatre devoirs » : soutenir les PME privées, surtout en temps de crise, les aider à monter en qualité et réduire la taxation. Liu He annonçait une vague de missions de contrôles en province, par le Groupe directeur de la croissance des PME et la Fédération des Industries et du Commerce.

Aux PME « surtout privées », Liu He promettait aussi de l’argent frais, du crédit bancaire. 150 milliards de yuans doivent être imprimés par la Banque Centrale en prêts bonifiés à leur intention. 100 milliards doivent être levés par l’Association des courtages de Chine, en un fonds spécifique alimenté par les banques, assurances et consortia d’Etat.

En pratique, ces efforts ne pèsent pas lourd, face à la demande criante et restée insatisfaite de ce privé qui supporte à lui seul 90% des nouveaux emplois et des nouvelles entreprises dans le pays. Et comme le note Wu Muluan, de l’Université de Singapour, l’obstacle liminaire à la délivrance de crédit aux PME privées demeure entier : le plan ne propose rien pour affranchir les branches locales des banques de l’arbitraire des provinces, qui les utilisent à leur discrétion. Dans ces conditions, toute velléité de refinancement des banques risque de demeurer lettre morte, faute de leur garantir leur indépendance par rapport aux dirigeants politiques provinciaux.

Cette carence en substance dans le plan de relance a bientôt été sanctionnée : durant 48h suite aux annonces du 20 octobre, la bourse remontait, mais retombait le 23 comme un soufflé faute de confiance des usagers : l’embellie faisait long feu ! 

Liu He et la Commission de stabilisation faisaient aussi des annonces d’allégement des taxes aux firmes. Mais en septembre, cette taxation continuait de monter de 2% en valeur absolue. Pour 2018, Pékin veut réduire son prélèvement d’impôts de 1290 milliards de ¥ (187 milliards de $).

Pourquoi ce correctif ? D’abord, parce que les fortunes continuent à croître à travers le pays, mais sur un mode inégalitaire. Selon UBS, la richesse nationale a monté en 18 ans de 1300% à 5190 milliards de $, au profit d’une poignée d’individus. Chaque 48 heures, calcule Crédit Suisse, apparait un nouveau milliardaire en $. Mais l’Etat ressent qu’un lien existe entre cet enrichissement sélectif et sa faveur donnée aux filières publiques, au détriment du marché et du privé. Un phénomène qui peut nuire à la stabilité sociale et au succès de la campagne anti-corruption.

On devine aussi dans la presse que le choix antérieur du régime, en faveur d’une renationalisation larvée de l’économie, comme celui d’une intransigeance face aux Etats-Unis, n’est pas bien passé auprès de l’opinion publique.

Pékin souhaite s’en justifier en désignant les coupables : les 500 « think-tank » ou centres de réflexion économique qui la conseillent, qui lui ont remis des avis faussés. Parmi ces analystes, certains n’ont pas fait l’enquête et ont donc failli à percevoir le changement de vent. D’autres l’ayant perçu, l’ont minimisé pour éviter de se faire mal voir. D’autres qui voulaient se rendre à Washington pour s’informer des intentions de Trump, ont été empêchés de sortir du pays, par tracasseries administratives. Tout cela fait que le pouvoir « mal informé », a pu s’illusionner sur la possibilité d’imposer un retour à l’économie d’Etat. Ainsi, le retour en grâce du secteur privé est décidé comme prise de conscience d’une stratégie impossible à tenir, et comme moyen urgent de rétablir l’équilibre. Le Parti tente de regagner la confiance de la base. Et pour y parvenir, il aura du chemin à parcourir.

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