Sous un apparent calme, la guerre froide de la mer de Chine du Sud n’a jamais cessé. La Chine poursuit sa stratégie d’occupation d’îlots dans les Zones d’Exploitation Economiques (ZEE) de ses voisins — espaces attribués aux pays riverains par la Convention internationale du droit de la mer (UNCLOS).
La dernière arme chinoise : la drague Tian Kun (cf photo), capable d’aspirer en une heure un mètre d’épaisseur de sédiment sur une surface d’un terrain de football. Elle annonce aussi deux tribunaux maritimes, judiciaire et d’arbitrage. Son ambition affichée est de devenir le « centre mondial du droit maritime » et d’offrir une alternative à la Cour Internationale de la Haye, référence judiciaire de l’UNCLOS.
Mais la stratégie ne passe pas, hors frontières. Signataire de l’UNCLOS, Pékin s’est mise dans son tort en rejetant en 2016 le verdict de la Cour de la Haye, qui donnait raison aux Philippines dans leur plainte pour violation de leur ZEE.
Les Philippines de leur côté vivent un dilemme, entre coopérer avec la Chine ou faire valoir leurs droits. Cet été, Manille avait voulu bâtir sur un îlot dans l’archipel des Spratley, des bâtiments « pour ses pêcheurs ». Mais la puissance chinoise est telle qu’un simple avertissement a suffi pour lui faire renoncer, et même ultérieurement, lui faire démolir le chantier.
Trois mois plus tard, à 48 heures du sommet de l’APEC à Danang (Vietnam, 11 novembre), R. Duterte le Président philippin déclare publiquement avoir abandonné le chantier dans ses eaux, moyennant une promesse des deux pays de ne plus créer d’îles artificielles ni de les militariser.
Cette annonce est faite pour avertir mais l’apparition de la drague a ébranlé la confiance. Plus d’un Philippin est convaincu qu’un tel outil ne peut servir qu’à reprendre l’expansion chinoise dans les eaux philippines et du Vietnam.
Aussi Duterte poursuit son discours en jurant de demander à Xi Jinping, le 11 novembre à Danang, une « clarification de ses intentions ». La ligne rouge à le pas dépasser, serait pour les forces chinoises d’ouvrir une base sur l’atoll de Scarborough, confisqué aux Philippines depuis deux ans. Duterte espère aussi négocier avec Xi un protocole militaire destiné à éviter à l’avenir toute « erreur de calcul », et conclut par ce mot étrange : « j’espère que vous tiendrez parole… Si une guerre éclatait, j’ignore quelle serait la future division géographique de l’Asie ».
Une telle harangue explicite en filigrane, la minceur de l’alliance sino-philippine conclue il y a 18 mois. En 2016, Duterte dénonçait la protection du « grand-frère » américain et « votait chinois », séduit par les projets d’équipements proposés par Pékin, lignes ferroviaires et fournitures militaires, pour une vingtaine de milliards de $ au total. Mais aux yeux des Philippines, le sens de la nouvelle alliance ne peut en aucun cas être l’achat de leur souveraineté maritime par la Chine. Faut-il s’en étonner ?
Au Vietnam aussi, l’hôte du sommet de l’APEC, on s’apprête à réclamer à Xi Jinping ces mêmes éclaircissements. En juillet déjà, les relations se détérioraient avec Pékin quand l’APL forçait Hanoi à interrompre une mission d’exploration pétrolière dans une zone réclamée par la Chine. En août, suite à la militarisation d’îlots artificiels chinois peu éloignés des côtes vietnamiennes, le ministre des Affaires étrangères vietnamien annulait une rencontre avec son homologue chinois.
Depuis, en prévision du sommet de l’APEC, suivi de celui de l’ASEAN qui se tient du 11 au 14 novembre à Manille, le ministre Wang Yi s’est rendu à Hanoi pour un tête-à-tête « franc et massif », conclu par la signature d’un protocole de résolution des conflits, « selon le bon sens et la loi internationale ». Si ce dernier terme est respecté, il marquera un tournant dans la stratégie chinoise en mer de Chine du Sud, et un pas vers une solution.
Sur le terrain, cependant, la crise ne fait que gagner en complexité. Hanoi et Manille savent que leur développement ne peut exister sans les investissements, les technologies et le marché chinois. Dans ces conditions, on peut comprendre la tentation de la Chine d’offrir ces avantages aux petits voisins, en échange de quelques bancs de sable et de cocotiers. Ce serait sans doute, sans les priver d’une exploitation (partagée) des droits de pêche et droits pétroliers, permettre à Pékin l’assouvissement de son rêve de suzeraineté régionale.
Mais le calcul ne tombe pas juste, faute de percevoir la fierté patriote de ces pays. Même pour satisfaire Pékin, leurs dirigeants ne peuvent aller à l’encontre de ce sentiment national renaissant. De plus, maintenant que la Chine s’est appropriée ces îles dans le déni du droit international, elle doit faire accepter ce fait accompli. Cela implique un droit nouveau, un contrôle par la Chine d’eaux internationales (pour la navigation) et riveraines (pour l’exploitation économique). Si le reste du monde refuse ce droit, à commencer par les Etats-Unis, la Chine ira au devant de difficultés.
C’est peut-être une des raisons aux nombreux contrats chinois (253 milliards de $) signés avec des entreprises américaines lors de la visite de Donald Trump. C’est pour tenter d’enrayer, entre USA et pays riverains de mer de Chine du Sud, une alliance qui semblerait autrement en cours de redémarrage. En effet, les Etats-Unis ont repris cette année leurs circuits de surveillance maritime dans la zone. Ainsi, au sommet de l’APEC, siègera Trump, et à l’ASEAN, son Secrétaire d’Etat R. Tillerson. Leurs discours, en position d’arbitre entre Chine et riverains, seront très attendus.
1 Commentaire
severy
17 novembre 2017 à 15:10A défaut d’envahir directement ses voisins, s’emparer en toute illégalité de rochers émergeant des flots à marée basse, les aggrandir en utilisant des dragueurs (qui détruisent toute la fragile écologie des lieux sur des kilomètres à la ronde) et les transformer en bases militaires au cas où un gendarme des mers venait à faire respecter les conventions des Nations unies qu’elle viole sans restreinte, est pour la Chine une manière qu’elle estime moins directe de tenter de se faire reconnaître comme la maîtresse de toute la région dans le moyen terme. C’est quasiment aussi illégal mais il n’y a aucun mort, aucun blessé et le terrain conquis est acquis pour longtemps. Jusqu’à présent, ce genre nouveau de harcèlement (bully) d’Etat semble réussir. Sunzi en sourirait d’aise.