A Chongqing, à 18h en ce jour de juin 2013, Liu Xiang traînait dans un bar du centre-ville, au lieu de rentrer à sa cité-dortoir, à 90 minutes en bus. Car avec Yuan Li, son épouse depuis trois ans, les choses n’allaient pas fort : mariés trop jeunes, ils s’étaient déjà depuis longtemps tout raconté – ou du moins le croyaient-ils. Ils avaient peu de choses en commun (elle, les voyages, lui, les bars et les longues heures sur Internet). Résultat, ils se disputaient pour un rien, jours et nuits.
Or, voilà qu’au bar, deux tabourets plus loin, Liu Xiang reconnut l’aguichante brunette en train de siroter son verre. C’était Xiaohua, son ex–de jeunesse. Ils se sourirent, se rapprochèrent. Deux verres plus loin, ils se tenaient la main. Elle n’habitait pas loin : il vint se consoler chez elle.
De retour à la maison, à minuit, il prétexta une réunion de dernière minute au bureau. Mais Yuan Li, toujours éveillée, fut intriguée par son regard en biais qui lui mit la puce à l’oreille… Liu Xiang avait une maîtresse !
Dès lors, la relation se dégrada rapidement, de regards fâchés en explosions furieuses, en désertions toujours plus fréquentes du lit conjugal.
A l’été 2014, Liu Xiang prenait ses cliques et ses claques, laissant à Yuan Li leur petit deux pièces. Il eût bien voulu reprendre sa liberté légale, elle aussi d’ailleurs – en Chine, 80% des divorces sont demandés par l’épouse, et pour cause d’infidélité presque invariablement. Mais, bornée, elle refusa—et toute la colère et les menaces de Liu Xiang se brisèrent devant sa détermination : c’est qu’il voulait la quitter, en lui laissant 250 000 yuans de dettes ! Or, il n’était pas question pour elle de le laisser filer.
Voilà pourquoi ouvrant sa porte six mois plus tard en février 2015, elle ne sut contenir sa surprise, devant un Liu attifé d’une cravate, tenant maladroitement un bouquet de quatre sous (ce qu’il n’avait jamais fait de toute leur union) pour lui présenter l’offre la plus saugrenue qu’elle eût pu concevoir.
Lion superbe et généreux, il acceptait à présent de régler leurs dettes, entièrement, d’un trait de plume, moyennant une toute petite formalité : qu’ils mettent leur état civil à jour, qu’elle vienne signer le divorce – maintenant, de ce pas. C’était à prendre ou à laisser ! Yuan Li fut désarçonnée. Connaissant son oiseau, rien qu’à son ton mal assuré, à ses yeux fuyants, elle flairait l’embrouille. Mais l’offre était alléchante : il avait apporté le cash, qu’il déposait sur la table, en liasses roses. Aussi, elle accepta : ils partirent de ce pas pour le bureau des mariages, et firent certifier sur leur Etat-civil leur rupture et célibat retrouvé.
Trois jours après, nouvelle surprise : un copain, perdu de vue depuis quelques temps, appela Yuan Li pour la féliciter, la laissant bouche bée :
– Mais de quoi parles-tu ?
– Quoi, tu ne sais pas ? Mais c’est un comble ! Avec Liu Xiang, vous avez gagné le gros lot au loto !
Chez Liu Xiang, le parfait amour avec Xiaohua avait connu des craquelures en 8 jours à peine, portant ce garçon faible et indécis à rêvasser à d’autres vies, femmes et fortunes. Ainsi, il s’était mis à jouer au loto des Sports, et ce mois-ci, pour le grand tirage du « Chunjie » (fête du printemps), il s’était fendu d’un billet entier.
Trois jours après, lors du tirage à la TV, il hurlait de jubilation : il avait gagné 4,6 millions de yuans, le prix d’une superbe garçonnière de 180m² avec vue sur le Yangtzé. Pour lui seul… à condition de divorcer, « ici et maintenant ». Ce qu’il avait réussi à faire en pratiquant la ruse du sourire de miel ! Mais Yuan Li ne se laissa pas faire. C’était pour elle « un coup de poignard dans le dos » (暗箭伤人, ànjiàn shāngrén).
Elle fonça chez un avocat de ses amis réclamer la moitié du gros lot. Le couple existant encore légalement lors de l’achat du billet, le magot tombait sous le régime de la communauté de biens. Liu Xiang tenta de se défendre : s’il avait été percevoir son chèque le lendemain du divorce, c’était par pure coïncidence.
Mais le juge ne l’entendit point de cette oreille, et son verdict témoigna d’une subtilité digne de Salomon. Certes, la séparation était effective depuis plus d’un semestre, mais pas aux yeux de la loi, puisque le jour du tirage, ils étaient bien mari et femme.
L’épouse d’autre part, sans la moindre faute de sa part, avait subi un indiscutable et double préjudice depuis la séparation : émotionnel (c’était une femme abandonnée), et matériel, son niveau de vie baissant suite à la disparition de leur cumul de salaires. Nonobstant, elle avait quand même aussi des besoins incompressibles, et des droits. Ainsi, le juge lui octroya la moitié de ce qu’elle réclamait.
La photo du journal local montre une Yuan Li au sourire triste (cf photo), mais arborant la dignité d’avoir vu ses droits reconnus. Toute cette affaire ne lui aura certes pas redonné un mari. A tout le moins, Liu Xiang n’aura pas emporté le magot entier au paradis.
Cet article a été publié pour la première fois le 25 septembre 2015 dans le Vent de la Chine – Numéro 33 (2015)
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