Petit Peuple : Heilongjiang – Hu Yongxu, un Icare chanceux

Heilongjiang – Hu Yongxu, un Icare chanceux

Dans le Heilongjiang, province la plus froide de Chine, limitrophe de la Russie et riche de grandes forêts, les mois de septembre et octobre sonnent la récolte des pignons de pin, une denrée très appréciée au Nord-Est du pays. Au matin du 4 septembre, Hu Yongxu, la quarantaine rondelette, s’est levé aux aurores pour cueillir des pommes de pin. Il a failli ne pas en revenir…

Les pignons de pin sont aux habitants de Mongolie Intérieure et de l’ancienne Mandchourie ce que les cacahuètes sont aux Américains, le snack par excellence, sain qui plus est, source de potassium, phosphore et vitamine E, un goût d’amande beurrée dont raffolent petits et grands. En médecine chinoise, on les conseille aux personnes faibles, âgées ou aux femmes qui viennent d’accoucher. Ils sont grignotés à toute heure du jour, crus ou sautés, aliment indispensable dans les spécialités culinaires de la région. Vendus par sacs dans les marchés de la région, ces « graines de longue vie » comme on les appelle en Chine, permettent un marché juteux qui repose pourtant sur des méthodes de cueillette très dangereuses.

Considéré comme l’un des métiers les plus risqués au monde, la cueillette traditionnelle consiste à grimper aux pins, hauts parfois de plus de 30 mètres, à mains nues, les pieds chaussés de souliers spéciaux pourvus de pointes. Chuter entraîne la mort ou tout au moins de très graves blessures. Il y a quelques années, pour protéger des vies et augmenter le rendement, l’utilisation de montgolfières s’est répandue malgré les risques importants d’inflammabilité de l’hydrogène et les interdictions d’utilisation qui ont suivi plusieurs accidents. Le métier est dangereux mais il paie bien et les cueilleurs sont nombreux. Un sac de 75kg de pommes de pin sera vendu 170 RMB à un revendeur local. En se levant tôt et en finissant tard, les cueilleurs peuvent récolter 5 000 à 6 000 pommes de pin et gagner 2 000 RMB en un jour.

En ce matin du 4 septembre, Hu Yongxu prend place dans l’une de ces montgolfières avec son collègue Liu Chenghui. Mais très vite, ils perdent le contrôle, la corde de sécurité, mal attachée, se dénoue et la montgolfière s’envole. Au passage d’un arbre, Liu Chenghui s’accroche aux branches mais Hu Yongxu n’a pas cette chance et bientôt le ballon se confond avec les nuages, disparu, envolé.

Icare bien malgré lui, Hu Yongxu paniqué, appelle son beau-frère, raconte les arbres devenus fourmis, l’engin impossible à diriger. Bientôt il ne capte plus. Le voilà doublement lâché par la technique, jeté dans les cieux sans ailes, obligé de gérer seul la panique qui l’envahit. Va-t-il mourir sans que personne ne le retrouve comme Bi Kesheng, un autre cueilleur disparu en 2017 de la même manière et qui n’a jamais été retrouvé ? Pendant huit heures, la montgolfière dérive, Hu Yongxu ne capte pas, ne sait où il est, encore en Chine ? En Russie ? En Corée du Nord peut-être ? Jamais plus il ne touchera à un pignon de pin, jamais plus il ne cueillera de pommes de pin, jamais plus il ne se disputera avec sa femme, jamais plus il ne se plaindra d’avoir eu deux filles au lieu du fils tant espéré, jamais !

Le ballon dégonfle enfin, perd de la hauteur, heurte un rocher. Hu Yongxu finit par s’accrocher à un arbre, puis à un autre avant de chuter au sol, blessé à la taille, marchant difficilement. Sans le savoir, il a atterri dans la région forestière du district de Fangzheng, encore dans la province du Heilongjiang donc, une vieille forêt de pins située à 300 kilomètres environ de son point de départ. Le meilleur scénario d’un épisode de Koh Lanta commence mais Hu Yongxu a un portable. Avec un peu d’eau et certainement quelques pignons, il erre dans la forêt pendant les 48 heures suivantes, téléphone en main, à la recherche du réseau. Quand il est enfin geolocalisé, près de 500 volontaires partent ratisser les 900 hectares de bois à sa recherche. Il sera finalement retrouvé le matin du 6 septembre, en vie mais choqué.

L’histoire ne dit pas s’il a tenu ses promesses, mais le proverbe, lui, est catégorique : « échapper à la mort est une dure épreuve, mais la vie vous sourira par la suite » (大难不死,必有后福 ; dànànbùsǐ, bìyǒuhòufú), ce qui se rapproche de notre fameux dicton « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Longue vie à Hu Yongxu !

Par Marie-Astrid Prache

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