Editorial : La taxe foncière, ou l’arlésienne

La taxe foncière, ou l’arlésienne

Longtemps discutée, jamais mise en place, la taxe foncière (房地产税 fángdìchǎn shuì) est à nouveau à l’agenda du gouvernement chinois.

C’est un projet porté par le Président Xi Jinping en personne, qui l’envisage comme outil pour lutter contre la spéculation immobilière. « Les logements sont faits pour y vivre, pas pour spéculer », martèle le leader chinois depuis bientôt quatre ans.

Introduire une taxe foncière serait également un bon moyen de mieux redistribuer les richesses, à la base du concept de « prospérité commune » que Xi Jinping veut remettre au goût du jour alors que son second mandat touche bientôt à sa fin (automne 2022).

Pour autant, cette réforme représente une épreuve de taille pour Xi Jinping, qui risque de s’aliéner les ménages et de semer la discorde au sein du Parti.

Sous l’ère Hu Jintao, en 2011, l’Etat avait autorisé Shanghai à taxer les résidences secondaires (de 0,4% à 0,6% de la valeur du bien) et Chongqing, les appartements de luxe et les villas (de 0,5% à 1,2%). Cependant, à l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, le gouvernement avait refusé d’élargir la zone d’expérimentation, avançant des « difficultés techniques ».

En théorie, le projet présente bien des avantages : outre le fait de freiner la spéculation, cette taxe constituerait une nouvelle source de revenus pour les gouvernements locaux (notoirement endettés), ce qui leur permettrait de développer les services sociaux (santé, éducation…). Ce faisant, les municipalités n’auraient plus à constamment mettre aux enchères leurs terrains pour renflouer leurs comptes – un revenu qui représentait jusqu’à présent un tiers de leurs finances. Cela aurait pour conséquence de freiner les programmes massifs de construction déployés par les promoteurs immobiliers (déjà dans le viseur de Pékin pour leur surendettement) et aurait un impact positif sur l’environnement…

En résumé, cette taxe a le potentiel d’altérer la dynamique fondamentale du secteur immobilier, l’un des piliers du « miracle économique chinois » des dernières années. Avant la pandémie, il représentait près de 30% du PIB.

Sauf qu’un marché immobilier moins dynamique pourrait causer une chute des prix, ce qui minerait le moral des propriétaires et ferait plonger la consommation… Ce scénario aurait un impact non négligeable sur la croissance, avertissent les économistes.

Plus de 9 ménages (urbains) sur 10 sont propriétaires de leur résidence principale. Ils sont cependant nombreux à avoir investi dans d’autres biens, comptant sur l’envolée des prix (multipliés par 6 en 15 ans) pour réaliser une belle plus-value. Une bonne partie de ces logements n’étant pas loués (le pays recensait 60 millions de logements vides en 2017), les propriétaires s’inquiètent de ne pas avoir l’argent nécessaire pour payer une taxe foncière chaque année.

Ils ne sont pas les seuls. D’après le Wall Street Journal, certains membres du Parti à la retraite auraient fait circuler une pétition pour s’opposer à une telle taxe, arguant ne pas avoir les moyens. C’est sans compter sur le fait que de nombreux cadres et leurs familles possèdent des biens qu’ils auraient été bien incapables d’acheter avec leur salaire de fonctionnaire… Du pain béni pour les inspecteurs de l’anti-corruption.

Au sein de l’appareil, l’opposition serait telle que le vice-premier ministre Han Zheng, chargé de ce dossier brûlant par Xi Jinping, aurait recommandé au leader de revoir ses ambitions à la baisse et de privilégier des programmes d’habitations à loyer modéré. 

Cela pourrait expliquer que l’échelle initiale du projet pilote aurait été réduite de 30 villes à 10 villes d’ici la fin de l’année. Shenzhen, la « Sillicon Valley » chinoise qui détient le record du ratio salaire-prix du logement le plus élevé du pays, la province du Zhejiang, zone pilote pour la « prospérité commune », et celle de Hainan, île réputée pour ses résidences secondaires, seraient sur la liste. Mais les cadres débattraient encore du taux à adopter ainsi que des conditions d’exemptions et de réductions…

Quelques jours après la publication de l’article du WSJ, l’agence Xinhua officialisait les intentions du gouvernement le 23 octobre en dévoilant que le Conseil d’Etat va choisir « certaines régions » pour déployer une taxe foncière qui s’appliquera « aux terrains, aux logements résidentiels et aux locaux commerciaux », tandis que « les maisons en zones rurales en seront exemptées ». Sans dévoiler de calendrier précis, Xinhua rapporte que le programme pilote devrait durer « au moins cinq ans » avant qu’une loi soit adoptée à l’échelle nationale. Cela repousse l’échéance à fin 2026, début 2027, au plus tôt…

Au final, ces péripéties foncières viennent rappeler que le processus politique chinois est sensiblement plus complexe que « Xi Jinping décide de tout », et que même le leader le plus puissant depuis Mao doit composer avec l’opposition.

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