Taiwan : Une fête nationale sous le signe de la paix

Après la République Populaire de Chine le 1er octobre, c’était au tour de Taïwan de célébrer sa fête nationale 10 jours plus tard, à J-100 des élections présidentielles et législatives cruciales pour l’avenir de l’île, le 11 janvier 2020.

Le 10 octobre, la République de Chine fêtait le 108ème anniversaire de sa fondation par Sun Yat-sen, suite à la révolte du Wuchang en 1911 qui avait conduit au renversement de la dynastie des Qing gouvernant le territoire depuis 268 ans. Un règne bicentenaire au cours duquel l’empire mandchou a grandement étendu le territoire des Ming, en y adjoignant les régions de la Chine populaire qui sont aujourd’hui les plus sous tension : le Xinjiang, le Tibet et TaïwanHong-Kong ayant été cédé à l’Angleterre en 1841. La République de Chine, dont les institutions gouvernent Taïwan et son régime présidentiel démocratique, est donc née en Chine avant d’être transposée à Formose par Chiang Kai-shek après sa défaite contre les communistes en 1949. Ainsi Mao Zedong proclamait cette année-là, la naissance de la République populaire de Chine le 1er octobre sur la place Tiananmen. 70 ans plus tard, au même endroit, sa fondation était célébrée par un vaste déploiement militaire et une exhibition de ses armes les plus sophistiquées, telles que les missiles balistiques intercontinentaux DF-41 volant à 25 fois la vitesse du son et capables d’atteindre les USA en 30 minutes.

Par contraste, depuis son élection en 2016, Tsai Ing-wen, présidente du parti démocrate progressiste (DPP) n’a pas mobilisé l’armée pour la fête nationale. Son prédécesseur entre 2008 et 2016, Ma Ying-jeou, du parti nationaliste chinois d’opposition (KMT), n’avait eu recours à la parade militaire qu’en 2011. Pour le « double 10 » de cette année, l’ancien président DPP Chen Shui-bian (2000-2008) suggérait même à Tsai d’annuler toute célébration et d’organiser un thé collectif en harmonie avec la nature pacifique du régime taïwanais. Car, comme le disait Laozi dans le Daodejing : « les armes mortelles ne doivent pas être exposées au peuple ». En fait d’armements sophistiqués, la parade d’anniversaire se faisait remarquer surtout par ses 23 chars de carnaval décorés, certains aux airs de faux sous-marins (cf photo).

Malgré tout, l’aspect militaire n’était pas entièrement absent avec la marche coordonnée des trois forces armées (air, terre, mer), la présence d’hélicoptères S-70C et le clou du spectacle, la flotte des avions de chasse AIDC AT-3 de fabrication indigène, en concordance avec le slogan de la célébration 2019 (« embrasser le monde, faire décoller Taïwan »). Leur participation au défilé rappelle que plus de 10 000 missiles chinois sont toujours pointés sur Taïwan, laquelle continue de renforcer ses capacités défensives, notamment avec la récente acquisition auprès des États-Unis de 108 chars M1A2T Abrams, 250 missiles Stinger et 66 chasseurs F-16. Dans un climat de pressions toujours plus fortes provenant de Pékin, Tsai a su se montrer ferme mais sans agressivité, en affirmant dans son discours la nécessité de « s’unir contre la menace que représente la Chine pour la paix régionale et la stabilité ».

L’année 2019 a été plutôt bonne pour Taïwan et pour Tsai. D’une part, pour la première fois depuis plus de 10 ans, la croissance de l’île (2,8% en 2017 et 2,6% en 2018) dépasse celle des autres « dragons » (Corée du Sud, Singapour, Hong-Kong). En outre, alors que Pékin a restreint les conditions de visa pour les voyageurs chinois à Taïwan, le nombre de touristes a crû de presque 20%, venus de Hong Kong, du Japon, des États-Unis et de la Corée du Sud. Enfin, la popularité de la présidente sortante revient au plus haut malgré les menaces de Pékin qu’un nouveau gouvernement DPP entraînerait une dégradation des relations avec le continent. Ces pressions chinoises ont pour objectif de pousser les électeurs taïwanais à porter leurs voix vers le KMT – historiquement ennemi juré du PCC mais devenu à partir des années 1990 un des partis les plus favorables à un renforcement des relations avec la RPC. Le candidat du KMT et actuel maire de Kaohsiung, Han Kuo-yu, résumait les élections à venir comme « un choix entre la paix ou la crise », considérant qu’ouvrir le dialogue avec Pékin est inévitable. Le gouvernement chinois a en effet déclaré sans ambiguïtés que si Taïwan persistait à élire un représentant du DPP, l’île devrait se résoudre à perdre un à un ses alliés diplomatiques.

En effet, la véritable mauvaise nouvelle pour Tsai vient de l’hémorragie des soutiens officiels de la République de Chine. Sous sa présidence, sept pays ont rompu leurs relations : São-Tomé-et-Príncipe, Panama, République Dominicaine, Burkina Faso, Salvador, et, en septembre, les Îles Salomon et la République de Kiribati. Ces revirements diplomatiques sont tous liés à des promesses d’aides au développement de la Chine avec lesquelles Taïwan ne peut absolument pas rivaliser. Cependant, ces défections ont entraîné une forte réaction de la part de l’allié américain : le 26 septembre 2019, le Comité des affaires étrangères du Sénat des États-Unis a voté à l’unanimité pour la signature du pacte TAIPEI (Taiwan Allies International Protection and Enhancement) pour amarrer les nations du Pacifique restantes (les Îles Marshall, Nauru, Palau et Tuvalu) et les autres alliés en Afrique et Amérique Centrale plus solidement à Taipei. En effet, le changement d’allégeance des soutiens de Taïwan dans le Pacifique au profit de Pékin, pourrait compromettre les efforts du groupe surnommé « Quad » (États-Unis, Australie, Japon, Inde) de contenir l’influence chinoise dans l’indopacifique.

Enfin, que se passerait-il dans le cas où la République de Chine perdrait tous ses alliés ? Du point de vue pro-chinois, cela marquerait la fin de son existence diplomatique internationale et confirmerait son statut de province chinoise comme les autres, suivant le principe « d’une seule Chine ». Selon des indépendantistes taïwanais, même sans reconnaissance diplomatique, Taïwan regroupe toutes les conditions nécessaires pour être considéré comme un état souverain, grâce à son peuple, ses terres, son système gouvernemental. On constate en tout cas qu’après son éviction de l’ONU en 1970, Formose a su maintenir une économie dynamique, ce qui lui a permis de signer des accords commerciaux avec de puissantes nations, bénéficiant ainsi de leur soutien dans les instances internationales. A l’avenir, ces appuis devraient lui rester fidèles. Et même si certains « petits » alliés lui tournent casaque, il semble fort improbable que le Vatican ne le fasse jamais : un pasteur n’abandonne pas son troupeau même pour un plus gros cheptel.

Par Jean-Yves Heurtebise

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