Dans un journal provincial, Miao commença par publier une série de chroniques sur des femmes pilotes légendaires, telle Mary Ellis, la britannique aux 1000 missions durant la Deuxième Guerre mondiale, ou Zhang Xiahun, première femme chinoise pilote en 1916. Son intention était de sensibiliser le public à la contribution du beau sexe à l’aviation mais aussi de signaler que ces héroïnes avaient continué à voler durant leur vieillesse. Les articles reçurent un vif succès, auprès d’une jeunesse surprise de découvrir l’histoire de « grand-mères » si peu conformes à la conception traditionnelle chinoise. Ils plurent surtout aux vieillards eux-mêmes, refusant comme elle de se laisser pousser de côté avant l’heure.
Cependant pour le Parti, la démarche sentait le soufre, comme toute initiative tendant à contester l’ordre établi : la censure et le rédacteur en chef eurent tôt fait, après cinq articles publiés, de conseiller à l’écrivaine d’aller exercer ses talents ailleurs et sur d’autres thèmes.
Changeant d’approche, à 70 printemps, Miao organisa en 2007 un événement réservé aux anciens de l’armée : dans un grand hôtel, elle les convia à un après-midi de spectacles et d’acrobaties, suivi d’un dîner assis. Miao s’était arrangée pour être à côté du commandant de la base militaire de Pékin, lui-même fils d’un de ses camarades de promotion. Elle l’entretint de ses souvenirs vivaces de l’époque héroïque des ailes révolutionnaires, des légendes autour des monstres sacrés du régime, lui démontrant ainsi sa vivacité intellectuelle. Puis, comme par plaisanterie, elle suggéra au militaire de la laisser reprendre les commandes d’un monomoteur du même type que celui qu’elle avait piloté. Amusé, le gradé, lui promit qu’il poserait la question.
Mais la réponse vint assez vite, négative hélas. Au ministère de la Défense, on rejeta catégoriquement toute possibilité : « même les hommes, une fois à la retraite, voyaient leur licence devenir caduque, alors pour les femmes bien sûr, ce genre de lubie devait être abandonnée. L’armée avait assez à faire ! ».
Miao s’y attendait et, sans attendre la réponse, avait lancé une autre initiative : rassemblant des femmes de son propre réseau d’ancienne pilotes et d’autres alliées à leur démarche, elle organisait chez elle des séances de thé où l’on évoquait le passé et sondait ensemble les moyens pour parvenir à revoler et à encourager cette vocation auprès de la gente féminine. Diverses pistes s’ouvraient, qui toutes retombaient au bout d’un moment tant l’idée reçue de l’infériorité des femmes était puissante au sein de l’appareil, et le risque élevé, si l’on agitait trop le cocotier, de se voir mettre sur la touche.
Jusqu’au jour de printemps 2019 où Miao rencontra la femme d’un tout puissant général, membre de la Commission militaire centrale. Passionnée par la cause, cette femme influente en toucha un mot à son mari qui décida alors que le non-sens avait assez duré : Miao Xiaohong passerait un test d’aptitude et de compétences aéronautiques, et pourrait effectuer un vol – pour commencer.
Eblouie de bonheur, Miao se présenta à la convocation à l’hôpital militaire 301 de Pékin pour l’examen de santé général, puis au ministère pour le théorique de pilotage : en fin de journée, elle était déclarée apte au service !
Cependant, ce fut elle qui d’abord retarda l’obstacle : après avoir tant rêvé de cette occasion, à 82 ans, elle redoutait de devenir, suite à un vol raté, la risée de la Chine entière. Pire, un échec la priverait du droit moral à poursuivre sa croisade, pour elle et pour son sexe. Aussi entendait-elle se préparer avec le dernier sérieux. Chaque jour durant deux mois, elle s’exerça pour renforcer ses jambes, abdomen et surtout ses bras, histoire de pouvoir tenir fermes son palonnier. Elle se força aussi quotidiennement à effectuer 3000 pas autour de chez elle, tout en se livrant mentalement aux calculs trigonométriques nécessaires au vol aux instruments. C’était bien plus que ce qu’on lui demanderait le jour de son vol à vue, mais qui pouvait le plus, pouvait le moins.
Enfin vint le jour fatidique. Elle se rendit à Pinggu près de la capitale, au club d’aviation de Shifosi où l’attendait un monomoteur Technam. L’instructeur qui avait déjà déposé le plan de vol l’encouragea courtoisement -elle en avait bien besoin, son cœur battant la chamade.
Miao s’assit au siège du pilote, installa le casque sur ses cheveux blancs. Elle fit sa checklist, vérifiant ailerons, stabilisateur, jauge, huile et tube de Pitot. Puis elle alluma le moteur et après l’échange radio rituel avec la tour de contrôle, fit son roulage sur le taxiway et lança l’appareil plein gaz sur la piste. Après cinq minutes d’élévation, elle dépassait le plafond de nuages pour retrouver avec ses yeux humides d’émotion, le ciel sans ride, le soleil pur. De retour à terre, Miao voulant cacher ses émotions et jouer la femme d’acier, évoqua son cœur stable, son corps réglé, et se déclara « bonne pour le service ». Enthousiaste, l’instructeur abonda, la disant apte à accomplir les 30 heures de vol réglementaires pour revalider sa licence.
Mais Miao déclina : une fois son vol réussi, elle était moins intéressée à repartir à l’assaut du ciel qu’à encourager des jeunes filles à embrasser la carrière d’aviatrice, de pilote d’hélicoptère ou de cosmonaute, une mission qui, elle l’espérait ne serait pas aussi difficile que de toucher le ciel ( 比登天还难, bǐ dēng tiān háinán), à 82 ans !
Sommaire N° 35 (2019)