Par Liu Zhifan
En une semaine, deux affaires d’espionnage mettant en cause la Chine, ont éclaté aux Etats-Unis, aggravant des relations déjà tendues par le conflit commercial entre Pékin et Washington. La Chine tente plus que jamais de renforcer son effort de pénétration tous azimuts des secrets du nouveau monde—petits et grands, publics et privés.
Le 4 octobre, Bloomberg Businessweek prétendait que des agents de l’Armée Populaire de Libération (APL) auraient installé des microprocesseurs de la taille d’un grain de riz dans les carte-mères de l’entreprise informatique taïwano-américaine Supermicro (l’un des plus grands fabricants de serveurs au monde) dont l’assemblage était confié à des sous-traitants installés en Chine. Dans le carnet de commandes de Supermicro, se trouve une trentaine d’entreprises américaines comme les grands noms de l’internet Amazon ou Apple, mais également des agences de renseignement comme la NSA, la CIA ou le Département de la Défense.
Une fois la fracassante annonce publiée, les compagnies concernées ont démenti, pointant la faiblesse d’une accusation sans preuve, ni autre référence que 17 témoignages anonymes de « sources proches du monde du renseignement et des affaires ». De plus, plusieurs experts ont exprimé leurs doutes : si l’infiltration des réseaux de groupes commerciaux américains est plausible, celle des plus hautes sphères de la sécurité du pays est impensable.
En tout cas, l’article met en lumière la dépendance de l’économie américaine aux composants made in China, dont sortent 75% des smartphones et 90% des ordinateurs portables de la planète.
L’avenir permettra de trancher : si l’affaire s’avérait juste, elle tuerait toute chance pour les géants chinois tels Huawei ou ZTE de s’imposer hors frontières. Dans le cas inverse, cette accusation explicite une méfiance mutuelle entre USA et Chine, sous l’angle de l’espionnage—car les Etats-Unis ne sont pas en reste…
L’affaire intervient dans un contexte de raidissements des relations, illustré le 4 octobre par un vice-président américain Mike Pence à Washington, accusant la Chine d’interférer dans les élections de mi-mandat prévues le 6 novembre, en « mobilisant acteurs cachés, groupes de pression et média propagandistes ». Ces accusations faisaient écho à celles de Donald Trump fin septembre, sans preuves les unes comme les autres.
Puis le 11 octobre, Xu Yanjun, barbouze chinois, arrêté à Bruxelles six mois plus tôt, était extradé vers les Etats-Unis – premier espion du Céleste Empire à s’envoler menottes aux poignets vers les USA pour y faire face à la justice. Haut cadre à la Sécurité d’Etat dans le Jiangsu, Xu aurait tenté depuis 2013 de soudoyer les employés d’importantes firmes aérospatiales américaines parmi lesquelles GE Aviation, filiale de General Electrics, un des géants de l’avion militaire. Son arrestation à Bruxelles aurait résulté d’un piège du contre-espionnage américain, qui l’aurait attiré dans une souricière dans la capitale de l’Union Européenne.
De telles interpellations d’espions chinois par les Etats-Unis se multiplient ces derniers temps. Fin septembre, le ministère fédéral de la justice annonçait l’arrestation à Chicago de Ji Chaoqun, citoyen chinois de 27 ans qui poursuivait ses études en ingénierie électrique en tant que réserviste de l’US Army, attendant sa naturalisation. Ji était en contact avec trois « correspondants » dont l’un, se faisant passer pour son professeur, a également été appréhendé. Moyennant une rétribution non déclarée, il avait été chargé de vérifier les CV de huit ingénieurs et chercheurs dans la défense et l’aérospatiale et avait sollicité une documentation technique, secrètement envoyée à Pékin ensuite.
De la sorte, le renseignement chinois recrute généralement parmi les 3,8 millions de sino-américains récemment immigrés. La plupart d’entre eux sont des universitaires chez qui brûle encore la flamme de la patrie d’origine, et accèdent de par leurs bonnes études à des postes à responsabilités en des secteurs de pointe.
Fin août, William Evanina, un des patrons du contre-espionnage américain s’inquiétait de la prolifération de faux comptes Linkedin (filiale Microsoft), ouverts par des espions chinois pour recruter des Américains ayant accès aux dossiers secrets commerciaux ou gouvernementaux. Christopher Wray, directeur du FBI, va plus loin : la cybermenace chinoise serait « de loin, la plus large, la plus puissante et significative à laquelle est exposée notre nation ».
En réaction, le gouvernement fédéral resserre les restrictions aux investissements étrangers sur les secteurs sensibles tels la haute-technologie ou les télécommunications. A partir du 10 novembre, le Comité pour l’investissement étranger aux USA (CFIUS), dépendant du département du Trésor, pourra bloquer tout investissement extérieur « portant atteinte à la sécurité nationale ». C’est nouveau : jusqu’ici le comité n’avait droit de regard que sur les « acquisitions étrangères » et les « participations majoritaires » dans les firmes américaines. Désormais son champ d’action s’élargit aux joint-ventures et à des financements plus modestes. Implicitement, la mesure vise surtout la Chine. En 2017, 56% des investissements chinois aux Etats-Unis (+25% par rapport à 2016) ont visé des secteurs tels aviation, biotechnologie, véhicules à énergie nouvelle… Ces investissements figurent parmi les dix secteurs déclarés stratégiques au programme « Made in China 2025 », en cours depuis 2015. Par ce plan aussi mystérieux que puissamment doté, la Chine de Xi Jinping compte s’approprier les technologies qui lui manquent, et s’imposer au plus vite comme première nation technologique mondiale. Mais il semble que les Etats-Unis rendent désormais coup pour coup. Et même les plus ardents adversaires de Trump, le soutiennent dans cette croisade.
1 Commentaire
severy
20 octobre 2018 à 21:21À force de mettre la main dans le pot de confiture, on finit par se faire pincer. Bien fait!