Sans surprise, le XIX Congrès a enchâssé en sa charte la « pensée » du Président Xi Jinping. À vrai dire, depuis sa création en 1921, cette constitution interne du Parti a subi des retouches à chaque Congrès. Même Hu et Jiang ses prédécesseurs y ont fait inscrire leur « pensée » —mais pas sous leur nom. C’est une victoire, qui lui permet de supprimer la collégialité au Politburo. Plus question pour Xi d’être l’égal des autres membres, et lui qui était depuis 2016 « noyau » du Parti, se hisse au niveau d’un Mao Zedong ou d’un Deng Xiaoping.
Mais quelles sont la direction, l’objectif de cette pensée ? On pourrait lui reprocher de manquer de fond, contrairement à la pensée de Mao. Son socle théorique place le Parti en gardien des idéaux révolutionnaires de Mao, et de la fierté nationale au vu des traditions antiques. Elle développe des concepts, souvent en contrepied de ses prédécesseurs.
En politique, Xi rejette l’« erreur de Gorbatchev » – cause en 1991 du naufrage du régime par trop de concessions à la démocratie. En contrepartie, Xi veut moraliser la vie politique : « mettre la corruption en cage » pour la rendre impossible. Dès 2020, un système de « crédit social » s’appliquera aux cadres et aux citoyens en leur octroyant une note morale, calculée par un logiciel, en fonction de leur comportement relevé par les multiples sources des big data.
Au plan militaire, Xi veut transformer l’APL en « une des meilleures armées au monde » à force d’équipements, de R&D et d’engagements aux frontières et en mer. Il veut mettre fin à l’enrichissement illicite des officiers. Surtout, il veut « assurer le contrôle absolu du Parti sur la classe militaire », ce qui laisse transparaître une méfiance du chef de l’Etat vis-à-vis de « notre nouvelle grande Muraille ». Quelques jours avant son arrestation et sa radiation du Parti en 2012, Bo Xilai, son rival, avait rendu une visite suspecte au 14ème corps d’armée dans le Yunnan, celui de son père Bo Yibo. Cet acte pouvait s’apparenter à une tentative de sédition, avec appui de l’APL.
Concernant le Parti, Xi veut « améliorer sa gouvernance et son efficacité » par un « effort d’intégration et d’institutionnalisation », « renforcer les liens avec le niveau de base ». Il s’agit de multiplier les cellules dans les bourgades et les campagnes, pour renforcer à la fois la lutte contre la pauvreté et le contrôle des masses.
En recul constant depuis Deng, l’idéologie doit reprendre vigueur et couleur, en élargissant son éventail : devenue nationale, elle intègre Mao (la révolution), Deng (le libéralisme) et Confucius, Mencius et d’autres penseurs antiques. Dans un effort de patriotisme décomplexé, Xi veut « promouvoir le nationalisme et l’exception chinoise », au nom de ses 5000 ans d’histoire.
Dans la « pensée de Xi pour le socialisme aux caractéristiques spéciales chinoises de la nouvelle ère », la priorité va aux deux derniers mots, « nouvelle ère » : Xi prétend, du passé (re-)faire table rase.
Parmi la masse de slogans forgés pour populariser cette pensée, l’un retient notre attention, celui des « 4 confiances en soi » : Xi Jinping attend de ses compatriotes une foi renouvelée dans le système, la voie, la théorie et la culture. Autant de concepts extrêmement détachés des préoccupations et du quotidien de la rue…
Deux campagnes sont à l’avant-garde —celles contre la pauvreté et la pollution. La première passe par le monde rural et ce qui compte pour le paysan—le droit du sol. Dès novembre, le Parlement pourrait amender la loi des contrats fonciers ruraux, pour assurer le renouvellement des droits d’usage pour 30 ans au-delà de leur expiration vers 2027.
Concernant la réforme des conglomérats, Xi promet des objectifs contradictoires. Il veut renforcer des pôles stratégiques sous contrôle de l’Etat. Mais il prétend aussi les réconcilier avec la rentabilité et un management de type privé, tout en éliminant leurs surcapacités – vaste programme.
Dans les secteurs non stratégiques, Xi fait mine de vouloir promouvoir le privé et de réduire le rôle de l’Etat à celui de simple arbitre. L’investisseur étranger serait traité sur un même pied d’égalité avec les intérêts chinois, pour l’accès aux licences, aux crédits, aux marchés publics. De vieilles promesses, pour l’instant restées vaines…
La technologie joue un grand rôle dans la pensée de Xi, à travers son programme « Made in China 2025 », qui prétend en 10 ans rattraper le retard technologique sur l’étranger.
Un dernier pan du programme est dédié à la mondialisation. Au plan financier, c’est l’intégration au FMI et la progression du yuan comme rival du dollar. Industriellement, c’est l’exportation des filières chinoises, chantiers, chemins de fer, bientôt auto électriques et centrales nucléaires, via le plan « BRI » (Belt & Road Initiatives). Au plan culturel, c’est la diffusion du « soft power », à travers le vecteur des instituts Confucius implantés sur les cinq continents.
Au plan institutionnel, Xi Jinping annonce la création de quatre nouveaux organes, sans grand détail. Un « groupe central directeur » devra « promouvoir la gouvernance de l’Etat en vertu de la loi ». C’est de l’Etat de droit « à la chinoise » qu’il s’agit : l’organe devra « renforcer en toute institution la gouvernance et la démocratie socialiste ».
Une administration de régulation des ressources naturelles devra réorienter mines et forêts vers une « civilisation écologique ».
Une commission centrale veillera sur les pensions des vétérans. C’est une concession à l’armée, en compensation du contrôle accru exercé sur elle.
Enfin et surtout, à chaque échelon administratif du pays (province, district, village…), des comités d’inspection disciplinaire « exerceront une stricte gouvernance sur la capacité du pays à diriger ». Cette sévère super-institution partagera à Pékin ses locaux et son personnel avec la CCID, et aura tout pouvoir en matière de lutte anti-corruption—même sur le Conseil d’Etat. Par cette agence en préparation depuis 18 mois, Xi Jinping veut faire savoir que son projet de « mettre en cage » la corruption du Parti, n’est pas un vain mot.
1 Commentaire
severy
1 novembre 2017 à 13:20Résumé magistral. Bravo, Professeur Meyer!