Depuis fin septembre, 250 millions d’habitants sur 260.000 km² en Chine du Nord (l’équivalent d’une demi-France), toussent sous un smog de 200 à 400 microparticules par m3 entre Pékin, Dongbei et Shandong—une pollution récurrente qui cause un million de morts prématurées par an.
Pour le Président Xi Jinping, c’est l’indice de l’insuffisance des efforts, pourtant lourds, déployés par le régime à partir de 2010, renforcés depuis son arrivée aux affaires fin 2012.
Rallié à la lutte anti-réchauffement climatique, Xi a été un des soutiens du plan de l’ONU à Paris fin 2015 (COP21), que la Chine a ratifié depuis, permettant son entrée en vigueur.
De janvier à septembre, les mines qui extrayaient 47,7% du charbon mondial en 2015, ont dû couper de 12%, 200 millions de tonnes, la production, au moyen d’une limitation des jours ouvrés de 330 à 276. Des centaines de mines ont été fermées pour non respect des normes, le même sort étant réservé aux aciéries.
Depuis 2016, le ministère de l’Environnement peut envoyer des inspecteurs dans les usines soupçonnées de tricher sur leurs émissions de fumées ou d’effluents liquides. Celles prises sur le fait subissent de lourdes amendes, voient leurs capacités muselées, et leurs noms publiés – moyen dissuasif. Elles étaient 55 à porter un tel « bonnet d’âne » au second trimestre, et 20 autres suite au smog des 16-19 octobre—la plupart des usines étaient basées au Hebei, au Liaoning, en Mongolie Intérieure et au Shandong.
Autre annonce en février, Pékin dévoilait un curieux plan de 5 « corridors » éoliens à travers ses banlieues, créés par la hauteur des constructions et par des rideaux d’arbres pour drainer les fumées hors de la ville.
Dans les métropoles en général, le charbon a déjà disparu, remplacé par le méthane. Dans les villages, plus pauvres, la transition énergétique est plus lente. Dès novembre dans le Hebei, en 18 districts et villes sur 7148 km², plus d’un million de foyers ainsi que les usines ont reçu des primes à l’électricité et au gaz, en échange de leur renonciation au charbon. Mais sur ces mêmes sols, centrales thermiques et chaufferies peuvent continuer à tourner. Pour Ma Jun, directeur de l’Institut pékinois des Affaires publiques et environnementales, ceci revient à « remplacer le charbon des ménages par celui des centrales », au rendement calorique bien plus élevé, permettant de réduire les émissions. Mais pour la disparition pure et simple de la houille, le délai risque de se compter en décennies.
Pour autant, nationalement, la grande bataille se livre entre niveaux central et provincial sur les centrales à charbon : non sur leur recul mais sur l’infléchissement de leur croissance.
En effet refusant les ordres de la capitale, les provinces parviennent à continuer à s’équiper en centrales, pour disposer d’un volant thermique d’électricité garant à leurs yeux de leur croissance locale future et du maintien de l’emploi. Le système administratif socialiste encourage cette stratégie illusoire : tous les 5 ans et surtout à présent, à 12 mois du XIX Congrès (temps des réaffectations), le Secrétaire du Parti tente de faire passer un maximum de chantiers d’équipements – sa promotion dépendant en fin de compte du nombre de ponts ou de lignes de chemin de fer qu’il a faits construire, quelle qu’en soit l’utilité ou la pollution associée.
Aussi, alors que Pékin tente de mettre un frein à la croissance des centrales thermiques, au nom de son plan de décarbonisation à long terme du bilan énergétique, les provinces elles, multiplient les projets de centrales thermiques : en 2015, la Chine en approuvait 4 par semaine.
Et puis le clash eut lieu : en 2016, le gouvernement a rejeté ou reporté pour une capacité de 114 GW—l’équivalent de plus de 200 centrales. Puis allant plus loin, il a fait annuler les permis de 30 projets pour 17 GW dans 13 provinces du centre et de la côte, suivis de 30 dans l’Ouest, dont 10 déjà en construction ! L’ensemble de ces unités aurait dû coûter 20 milliards de dollars, et atteindre la puissance des parcs électriques combinés d’Espagne et du Royaume-Uni.
Pour imposer ses interdictions, la technique a été radicale : les centrales de l’Est sont interdites de raccordement au réseau, et celles de l’Ouest ont vu annuler leurs projets de lignes à super-haute tension pour acheminer leur courant vers la côte. De la sorte, les provinces peuvent toujours faire bâtir, mais en pure perte, faute de client…
Cette guéguerre qui se déroule a un aspect émotionnel profondément ancré en Chine. Le charbon fait partie de l’imagerie révolutionnaire partagée par trois générations de chinois. Il est aussi souvent à l’origine des grandes fortunes du régime. Ce qui explique pourquoi la Chine exporte toujours sa technologie houillère : de 2007 à 2014, deux banques politiques chinoises ont alloué aux pays émergents 78 milliards de $ pour des centrales thermiques, que la Banque Mondiale pour sa part refuse aujourd’hui de financer, pensant à la protection de l’environnement…
On voit donc le pouvoir chinois s’éveiller à la sensibilité écologique, et se battre pied à pied avec les provinces pour les empêcher de tricher. Mais son action n’est qu’un premier pas timide, pas même suffisant pour enrayer la croissance de la houille au Céleste Empire. Fin février, le parc chinois en centrales à charbon avait augmenté de 11,8% sur 12 mois, à 1485,8 GW, et 389 centrales étaient en construction. Indice que pour passer à la décroissance, il faudra trouver autre chose.
Sommaire N° 35 (2016)