Editorial : La Chine est-elle bien préparée au retour de Trump ?

La Chine est-elle bien préparée au retour de Trump ?

Le couperet est tombé. Le 5 novembre, Donald Trump a été élu 47ème président des Etats-Unis. Cette élection, riche en rebondissements, a été suivie de près par la Chine, tant par le leadership que par la population.

Sur le réseau social Weibo, le hashtag de la victoire de Trump (特朗普) a été vu plus de 1,2 milliard de fois, les commentaires oscillants entre admiration pour ce « roi qui sait tout » (懂王, dǒngwáng, l’un des surnoms de Trump), et inquiétude envers celui qui a « voulu tuer Huawei » et déclenché une guerre commerciale contre la Chine durant son premier mandat (2017-2021).

Derrière les hauts murs de Zhongnanhai, peu après l’annonce des résultats, Xi Jinping aurait décroché son téléphone pour adresser ses félicitations à Donald Trump tout en l’invitant à « entretenir une relation stable basée sur le respect mutuel », à « gérer correctement leurs différences et « à trouver un moyen pour que la Chine et les Etats-Unis puissent s’entendre (…) dans l’intérêt des deux pays et du reste du monde ». Une précision qu’il n’avait pas jugé utile de faire lors de ses vœux à son prédécesseur, Joe Biden.

A vrai dire, Pékin s’était préparé à l’éventualité de la réélection de Trump depuis le printemps dernier, demandant à ses meilleurs think-tank de prédire quels seraient les futurs membres de son administration et leurs positions vis-à-vis de la Chine. Et force est de constater qu’entre Mike Pompeo, son ancien secrétaire d’Etat sanctionné par Pékin pour avoir affirmé que la Chine menait un génocide contre les Ouïghours, et Robert Lighthizer, son ex-représentant au commerce, fervent partisan des tarifs douaniers, en passant par son futur vice-président, J.D. Vance, qui s’inquiète de ne pas avoir assez d’armes à envoyer à Taïwan à cause de la guerre en Ukraine, on peut dire que Pékin a du souci à se faire

Sous cette perspective, l’homme le plus favorable à la Chine dans le giron de Trump est sans doute le milliardaire Elon Musk. Le fondateur de Tesla n’a jamais caché son admiration pour la Chine (son développement économique, sa politique industrielle, son programme spatial…) et a déjà affirmé que Taïwan faisait partie intégrante de la Chine. Aujourd’hui, une Tesla sur cinq dans le monde a été fabriquée dans la gigafactory shanghaienne du groupe, qui réalise 20% de son chiffre d’affaires global sur le marché chinois. Le fait que SpaceX, la société d’exploration spatiale d’Elon Musk, ait récemment demandé à ses fournisseurs taïwanais de transférer leur fabrication hors de l’île, n’a fait qu’enhardir les internautes nationalistes chinois, interprétant cette nouvelle comme le signe d’une réunification proche avec Taïwan.

A y regarder de plus près, l’homme le moins hostile à la Chine de l’équipe Trump est peut-être Donald Trump lui-même. En effet, malgré ses menaces régulières et ses mots acerbes durant le Covid-19, son admiration personnelle pour Xi Jinping (ainsi que pour tous les hommes forts en général) pourrait s’avérer très utile pour Pékin. Pour mémoire, Xi et Trump se sont déjà rencontrés à quatre reprises et le président élu américain s’est encore récemment vanté de sa « très forte relation » avec le leader du Parti Communiste Chinois. Il a même affirmé qu’il serait en mesure de le dissuader de lancer une attaque sur Taïwan… en imposant aux produits chinois des droits de douane de 150% !

Pas de doute, Pékin aurait beaucoup à perdre dans une nouvelle guerre commerciale avec les Etats-Unis. Si Trump, une fois investi le 20 janvier 2025, se décidait via un « executive order » – des règlements qui s’appliquent immédiatement sans passage devant le Congrès – d’augmenter les tarifs douaniers sur tous les produits chinois à 60%, comme il l’a promis durant sa campagne, cela pourrait coûter 2 points de PIB à la Chine, selon les calculs de la banque Barclays. Or, l’économie chinoise est déjà aux prises avec une consommation atone, une sévère crise immobilière et un chômage des jeunes persistant. La Chine ne peut donc pas se permettre de perdre le moindre point de croissance, alors que le gouvernement pourrait déjà rater son objectif de croissance d’« environ 5 % » cette année. C’est ainsi que certains économistes avancent que Pékin aurait calibré son récent plan de relance en fonction de ce scénario tarifaire.

Une Chine pragmatique tentera peut-être de conclure un accord avec Trump afin d’éviter les droits de douane et de sauver ses exportations dont elle dépend encore cruellement (19 % de son PIB en 2023). Cependant, il est peu probable que le locataire de la Maison Blanche cède, l’homme étant bien conscient que les « deals » conclus avec Pékin durant son premier mandat n’ont pas été honorés. 

Une Chine combative répliquera à ces tarifs au « tac au tac », comme elle l’a fait de par le passé, ou menacera de restreindre ses exportations de terres rares, cruciales pour la fabrication des semi-conducteurs. Et si Trump s’en prend à nouveau à ses entreprises technologiques (Huawei, TCL, SMIC, ByteDance…), elle sera prête à utiliser sa loi anti-sanctions étrangères, adoptée en juin 2021.

Une autre option, évoquée par le vice-premier ministre, He Lifeng, serait de compenser les effets négatifs de ces tarifs en accordant des baisses tarifaires à certains produits (agricoles, équipements télécoms… ) en provenance d’Europe et d’Asie. Cette mesure bénéficierait à l’économie chinoise et à ses consommateurs tout en permettant de redorer l’image, passablement écornée, de la Chine, « championne du libre-échange », pendant que les Etats-Unis se replient sur eux-mêmes.

Lors du premier mandat de Trump, la Chine, sur la défensive et déterminée à montrer qu’elle ne se laisserait plus marcher sur les pieds, avait sapé bon nombre de ses relations avec ses partenaires, notamment en adoptant sa désormais célèbre « diplomatie guerrière ». Obnubilée par son conflit avec les Etats-Unis, elle n’avait donc pas su capitaliser sur les désaccords entre Washington et ses alliés en amorçant un rapprochement économique avec ceux-là. Saura-t-elle saisir la balle au bond cette fois-ci ? Le moment semble particulièrement choisi pour enterrer la hache de guerre avec Bruxelles…

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