Editorial : Tournée symbolique dans le Sud

Deux semaines avant le 5ème plenum (26 au 29 octobre), durant lequel le Comité Central délibérera à propos du prochain plan quinquennal (2021-2025) et des objectifs de développement jusqu’en 2035, le Président Xi Jinping a fait le déplacement dans le Guangdong, pour marquer le 40ème anniversaire de la création de la zone économique spéciale (ZES) de Shenzhen.

La « success story » est connue de tous : simple village de pêcheurs de 30 000 âmes en 1980, Shenzhen s’est transformé en une forêt de gratte-ciels de 13 millions d’habitants. En 40 ans, son PIB a été multiplié par 10 000, au rythme d’une croissance effrénée de 20% chaque année. En 2018, il a même dépassé (400 milliards d’euros) celui de sa célèbre voisine, Hong Kong (380 milliards d’euros). Sont implantés dans la région : Tencent, Huawei, ZTE, BYD, DJI, Pingan et China Merchants… Signe de son avance technologique, Shenzhen est la première ville à avoir inauguré son réseau 5G et à expérimenter en grandeur nature l’imminent yuan digital.

Depuis la série de discours tenus dans le Sud par Deng Xiaoping en 1992, réaffirmant sa politique de réforme et d’ouverture après trois ans de glaciation suite au Printemps de Pékin, certains tournants idéologiques ont été annoncés lors de voyages de dirigeants dans le Guangdong. C’est pourquoi, lors de la première visite de Xi Jinping dans la province en tant que Premier Secrétaire du Parti en décembre 2012, les espoirs que Xi se révèle être un leader pragmatique et réformiste, étaient de mise, avant d’être rapidement déçus. Comme lors de son second déplacement en 2018 à l’occasion de l’inauguration du pont Hong-Kong-Zhuhai-Macao, aucune grande annonce ni changement de ligne n’étaient donc à attendre lors de cette troisième tournée au Sud.

Pourtant, cette commémoration avait une résonnance particulière pour Xi Jinping puisque son père, Xi Zhongxun, a contribué à la création de ces ZES en 1979, sous le leadership de Deng Xiaoping à qui Xi n’a toutefois pas manqué de rendre hommage en déposant une couronne de fleurs devant la statue à son effigie au parc Lianhuashan. Le Président s’est également réapproprié une de ses célèbres citations : « il faut adhérer à une combinaison de « tâtonnement des pierres pour traverser la rivière » (摸着石头过河) et de renforcement de la planification à haut niveau ». Cet extrait exprime à lui seul l’ambivalence présidentielle. D’un côté, Xi se présente comme le digne hériter de Deng, s’associant à ses succès économiques, sans céder le moindre contrôle, ni réforme. De l’autre, Xi est un grand amateur de certains concepts maoïstes, comme celui d’autosuffisance (自力更生) qu’il prêchait chez un fabriquant de composants électroniques à Chaozhou, et ambitionne de s’élever à une grandeur égale à celle du fondateur de la RPC. Pourquoi pas en devenant le Président qui parachèvera son œuvre en réunifiant Taïwan ? Sans mentionner l’île « renégate », Xi a ordonné aux commandos de marine (la seule branche qui s’est agrandie durant le grand remaniement de l’APL) basés à Shantou de se tenir prêts à préserver « la souveraineté et l’intégralité territoriale chinoises ».

Le point d’orgue de sa visite a été un discours de près d’une heure (14 octobre) devant un parterre de 800 invités. Sur scène, le président était accompagné par le vice-premier ministre Han Zheng, en charge du portefeuille hongkongais, Xia Baolong, nouveau directeur du bureau central des affaires hongkongaises, et la cheffe de l’exécutif Carrie Lam. Il ne faut pourtant pas s’y tromper : désormais la priorité sera donnée à Shenzhen, zone pilote modèle « aux caractéristiques socialistes chinoises », au détriment de sa turbulente voisine…

Cela ne fait pas les affaires de Mme Lam, qui a été contrainte d’annoncer à la dernière minute repousser à novembre son discours de politique générale, de manière à pouvoir assister à la cérémonie, mais surtout de recevoir l’aval du gouvernement central lors de sa visite à Pékin programmée à la fin de ce mois, notamment au sujet de la « Greater Bay Area », plan d’intégration de Hong Kong en tant que place financière internationale, de Shenzhen en tant que pôle technologique, du Guangdong en tant que base industrielle, de Zhuhai en tant que centre de R&D, et de Macao comme lieu de loisirs. Ce report d’une allocution décisive est une première dans l’histoire de la région administrative spéciale (RAS), qui démontre bien que cet exercice n’est plus simplement une affaire interne à l’administration hongkongaise…

En guise de cadeau d’anniversaire, Xi a dressé une liste de « récompenses » accordées à Shenzhen (plus d’autonomie dans certains domaines comme le rezonage de terres agricoles en zones industrielles, la libéralisation du permis de résidence « hukou », l’assouplissement des restrictions aux investissements étrangers dans le domaine des technologies de pointe). Le président a également précisé à Shenzhen ses missions pour l’avenir (s’adapter à la nouvelle stratégie de circulation duale en connectant les circuits internationaux et nationaux, servir d’exemple aux zones spéciales du pays entier, attirer les talents étrangers, mieux intégrer la jeunesse hongkongaise…). Et le challenge est de taille pour Shenzhen, qui a en majeure partie bâti son succès sur les transferts massifs de savoir-faire venus de l’étranger, notamment via Hong Kong. Étant donné le contexte actuel de découplage technologique avec les États-Unis, et le fossé grandissant entre la Chine et l’Occident, Shenzhen saura-t-il réitérer le « miracle » ?

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