Finance : Remue-ménage chez les petits épargnants

Selon le groupe de presse Hurun, cent soixante-quatre plateformes de crédits sur internet, et banques de prêts entre particuliers (« P2P » ou « pair-à-pair ») ont été fermées depuis le 1er juillet 2018, laissant sur le carreau près de quatre millions d’investisseurs chinois, l’équivalent de 150 milliards d’euros.

Fin juillet, près de dix mille investisseurs ont convergé vers Pékin pour demander des explications et l’aide du pouvoir. En vain : nombre d’entre eux ont été arrêtés, et à ce jour aucune réponse n’a été fournie à ces petits épargnants menacés de ruine. Annoncée pour le 1er octobre à Pékin, une nouvelle manifestation a été empêchée par la police.

« Nous voulons juste que l’on nous réponde », explique un homme venu de Shanghai interpeller les autorités. « Comment une société comme Tangxiaoseng qui existe depuis plus de cinq ans, et qui fait de la publicité sur tous les grands médias, à la télévision et partout sur Internet, comment peut-elle fermer brutalement ? Le gouvernement ne nous a jamais prévenu d’une interdiction imminente, c’est pourquoi nous attendons à présent qu’il nous rembourse ».

Tangxiaoseng est l’une des grandes plateformes P2P fermée cet été. Sa directrice avait été arrêtée dès fin juin, et près d’un demi-milliard d’euros se sont envolés, inspirant une multitude de plaintes pour tenter de récupérer les fonds.

Ce n’est pas la première fois que Pékin fait ainsi le ménage dans cette jungle des prêts entre particuliers : au total, au cours des cinq dernières années, quelque 4.330 sociétés chinoises de prêts P2P ont déjà fait faillite ou ont été brutalement fermées.

Certains de ces sites promettaient jusqu’à 12% de taux d’intérêts aux investisseurs, quatre fois plus que les banques formelles. Un régime évidemment intenable : nombre de ces banques « noires » se sont avérées adeptes du trafic pyramidal, dit de « Ponzi », où les intérêts dus sont payés par les dépôts des nouveaux entrants. Quand leurs patrons ne se sont pas justes envolés avec la caisse…

Mais certaines, comme Tangxiaoseng ou PPMiao, avaient atteint une certaine notoriété et étaient tolérées par les autorités, en assumant un rôle de prêt aux particuliers que les banques publiques avaient renoncé à exercer, faute de pouvoir s’assurer de la fiabilité de l’emprunteur. Pour beaucoup de petits investisseurs, elles étaient devenues un moyen rapide et moins risqué que la bourse pour faire fructifier leurs économies.

Pour autant, ce grand nettoyage des firmes P2P peut-il compromettre l’équilibre de la finance chinoise ? On en est loin. Le segment P2P est minime et ne devrait pas ébranler un système bancaire en pleine restructuration. En juillet 2018, il n’avait atteint que 0,7 % de l’ensemble des prêts bancaires et 0,5 % des actifs bancaires totaux. La croissance des prêts P2P est aussi en baisse depuis son pic de 2015. Seule une infime partie de la population, issue essentiellement de la classe moyenne des grandes villes, a investi dans ce type de prêts. Comme conclut cet économiste occidental, « cette crise ne devrait pas avoir d’impact systémique sur le système financier global de la Chine ». 

PME, petits commerçants et jeunes couples, se tournaient en effet volontiers vers ces sites pour se financer tandis que les épargnants chinois dont le bas de laine s’alourdit toujours, n’ont pas accès à de nombreux placements telles obligations, assurances, bourses étrangères, et font face à 100 restrictions sur l’investissement dans la pierre.

D’ailleurs, le coup de balai sur le P2P de cet été, n’est qu’un volet d’une réforme financière bien plus vaste, comme l’explique Zhong Xin du cabinet juridique King & Wood Mallesons : « Le gouvernement fait le ménage sur ces établissements informels pour l’instant absolument pas régulé, mais aussi sur les places financières traditionnelles qui sont désormais beaucoup plus encadrées, et sur les banques ». Zhong Xin prédit le prochain pas dans cette réforme de la e-finance : l’introduction d’une licence nationale, donnant aux plateformes P2P un statut officiel tout en assurant la protection des dépositaires et barrant la voie aux abus. Le gouvernement a ainsi publié cent nouvelles règles que les maisons financières devront respecter pour conserver leur licence. L’objectif est d’introduire plus de transparence dans les opérations, réduire l’exposition de ces maisons aux risques de prêts, et s’assurer de leur professionnalisme. Pékin veut également profiter du grand nettoyage pour amener ces plateformes à fiscaliser leurs opérations – à appliquer une taxe sur l’argent prêté – et pour réorienter une partie de l’épargne privée vers les banques, plus facilement contrôlables.

Chi Lo, économiste chez BNP Paribas commente : « Le risque d’instabilité sociale n’est pour l’instant pas élevé. Les pertes des petits porteurs suite à la fermeture des P2P sont devenues un problème socio-politique, qui accentue la pression sur le Président Xi Jinping, alors que la croissance ralentit et qu’augmentent les défauts de paiement. Les tensions commerciales avec les Etats-Unis n’arrange rien ». Pour cet expert, « la crise P2P est un problème structurel que Beijing doit résoudre parallèlement à son programme de modernisation financière, mais nous ne la voyons pas prendre des proportions susceptibles d’ébranler le marché des actifs chinois. La consolidation se poursuivra inévitablement. De toute évidence, les investisseurs devraient faire preuve de prudence lorsqu’ils investissent dans des acteurs P2P cotés, certains étant cotés à l’étranger ».

Mais en attendant, ce sont les petits épargnants qui font les frais. « Ils ont peu de chance d’obtenir réparation, estime Zhong Xin. « Au mieux après des années de bataille judiciaires ils pourront récupérer 20% de leur mise. Mais la plupart n’auront rien ».

Par Sébastien Le Belzic

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