Politique : Discours de Xi Jinping : deux regards en coupe transversale

Véritable agenda politique du PCC s’étendant jusqu’en 2050, le discours de Xi Jinping, ce 18 octobre en ouverture du XIX ème Congrès, brasse deux thèmes qui apparaissent à première vue difficilement conciliables :

– une promesse de mise en « cage » par différents moyens techniques modernes la société, cadres et civils, pour décourager toute déloyauté envers le « noyau central », et toute malhonnêteté ou abus du pouvoir ;
– à tous milieux, une offre d’association et d’ouverture, une promesse de prospérité inclusive, dans la fierté nationale.
À dire vrai, cette contradiction est due à l’identité de l’auteur du discours, à savoir le Parti lui-même, sous toutes ses tendances : le Comité Central l’a voté 8 jours plus tôt.

Dans cette optique, il nous a paru intéressant de comparer la fréquence de mots-clés, leur sensibilité plutôt réformiste, ou conservatrice, et leurs associations. Ce travail permet de dé-gager un nouveau regard, de mieux comprendre les priorités, les compromis—le débat interne.

Le terme le plus utilisé est « à la chinoise », accolé à des concepts tels « société, légalité socialiste, démocratie ». On y voit deux visions politiques opposées : « à la chinoise » est national, patriote, donc exclusif, et son attribut reflète une valeur inclusive-universelle. Leur mise en binôme n’est pas par hasard : elle permet aux deux bords de s’entendre. Les réformistes minoritaires, peuvent faire passer dans le programme une valeur mondiale : les conservateurs majoritaires la tolèrent, une fois modulée selon leur intérêt de Parti, rebaptisé « intérêt national ». C’est un compromis… « à la chinoise » ! 

Le deuxième thème est le groupe «gouvernance, loi, droit en vertu de la loi ». Ensemble, ces termes apparaissent 61 fois. Ils traduisent une convergence unanime vers l’objectif de légalité, d’abandon des règles discrétionnaires. Réformateurs comme neo-maoïstes disent que tout cadre doit exercer son pouvoir en gardant à l’esprit les normes de la loi. Il y a accord pour faire reculer l’arbitraire, mais non pour le faire disparaître. La notion de « droit en vertu de la loi » contourne celle occidentale d’« état de droit », où la loi ne connaît pas d’exception : à tel légalisme, le clan conservateur n’est pas encore prêt.

En troisième place vient le groupe « contrôle, supervision, inspection, surveillance, discipline ». Ils sont cités 53 fois. A lire plus précisément, cette thématique du contrôle social est bien plus intense, présente partout, dans la logique du grand retour de l’héritage néostalinien de Mao. Mais pas expressis verbis, seulement sous-entendue, métaphorique comme dans le projet appliqué à Hong Kong et Macao, de « renforcer la conscience et l’esprit patriotique ».

Parmi d’autres concepts forts, figurent « grand renouveau et Rêve de Chine » (47), « réforme/ouverture » (33), « innovation/technologie» (30), « environnement/écosystème/écologie » (25). « Corruption/corrompus » reviennent 17 fois, « pauvreté » 5 fois : ce sont des objectifs majeurs du PCC. « Bonheur, bien-être, satisfaction » du peuple reviennent 11 fois.

On peut s’étonner de ne croiser que 15 fois le terme de «marxisme», parfois accolé à « léninisme » : cette discrétion relève de la prudence, comme pour la thématique du « contrôle ». Les rédacteurs ne tiennent pas à inquiéter inutilement délégués ou opinion, dont seule une minorité partage notoirement la foi du régime.
Petit dernier de la liste, le couple « droits de l’homme/libertés » n’apparaissent que trois fois : c’est juste pour mémoire, s’agissant de termes  nécessaires, mais accessoires aux yeux du sommet du Parti.

Une seconde lecture transversale nous a apparu tout aussi instructive : celle qui identifie les slogans politiques du discours. Ce sont ceux qui flottent depuis 8 jours à travers les avenues de la capitale, pour les faire connaître. Ils cristallisent la toute nouvelle « pensée de Xi Jinping du socialisme chinois de nouvel âge »- (习近平新时代中国特色社会主义思想), qui va être enchâssée dans la constitution du Parti. Invariablement, ces slogans se composent de mots et de chiffres, qui leur donnent un style militaire, facile à retenir. Par leur brièveté, ils rappellent la discipline du Parti : ils sont d’application immédiate.

Parmi ces slogans, comptent :
– les « 4 intégralités », objectifs de moyenne aisance, de réforme, de gouvernance et de discipline ;
– le « plan en 5 axes » : réforme économique, politique, sociale, culturelle et écologique ;
– « 3 consignes de rigueur » et « 3 règles d’honnêteté », pour le cadre;
– « 2 études et une ligne d’action » pour la formation. Variante : le « système des 3 séances et d’un cours » ;
– les « 8 recommandations » se composent de  « 4 modalités », contre 4 vices ».

Enfin, une campagne est imminente : « rester fidèle à l’engagement initial, et garder toujours à l’esprit la mission ». Elle reflète la conviction du Président selon laquelle le Parti a oublié ses valeurs. Comme le fit jadis le moine Xuan Zhang pour sauver le bouddhisme lors de son Voyage à l’Ouest (thème d’un ouvrage littéraire ayant formé tous les esprits en Chine), le Parti doit à présent se plier à un douloureux voyage sur lui-même, pour se retremper dans ses sources révolutionnaires.

Reste à savoir si ce retour d’hélice et déni de 20 ans d’évolution sociale, sera du goût de tous. Pour l’instant, on n’entend que les salves d’applaudissements dans l’hémicycle, et à travers le jeu vidéo de concours de bravos sur le portail social du groupe Tencent. En Chine aussi, tout finit par des jeux internet—même le retour à Mao !

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2 Commentaires
  1. severy

    En Chine, pendant le Congrès quinquennal, quand les membres du Parti entonnent l’hymne national, au sein du Comité central, le jeu des chaises musicales commence.

  2. anneribstein

    Décryptage très éclairant, comme d’habitude. Et le bonheur intellectuel de lire une analyse politique fine, avec des références littéraires. Merci

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