En mars 2016, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) et le consortium public de génie civil chinois, CSCEC, annonçaient à grand fracas le contrat d’une capitale-bis pour l’Egypte, à 50km du Caire. Sur 700km² en plein désert, elle logerait 5 millions d’habitants dès 2021 dans gratte-ciel et villages connectés, autour d’un immense parc en bord de fleuve, d’universités, de zones industrielles, de 1000 mosquées, d’un aéroport, d’un palais des congrès, le tout relié par 210 km de routes, de lignes de métro…
Entre-temps, les bétonneuses ont débuté le chantier. CSCEC a promis 15 milliards de $, et China Fortune 20 milliards au titre de la seconde tranche : les trois-quarts des 45 milliards de $ de budget sont donc assurés. Pour le reste du budget, l’entrée du Yuan au panier du FMI doit faciliter les transactions, encourageant d’autres investisseurs étrangers au Caire-bis, comme l’Arabie Saoudite (pour un projet islamique de 12,5ha) ou l’Inde (pour un complexe hospitalier).
Nouveau Président élu après un putsch, le Général al-Sissi évoque la chance pour l’Egypte de déplacer sa capitale, tout comme le Brésil, l’Australie, la Birmanie, le Kazakhstan. La nouvelle ville décongestionnera l’ancienne, et créera de nombreux emplois.
La Chine elle, y voit une chance de créer une plaque tournante et une base logistique à partir de laquelle elle rayonnera sur l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.
Au fond, elle fait hors de chez elle, ce qu’elle a raté sur son propre sol dans les années ’50 : le Président Mao avait alors refusé de quitter le cœur du Pékin antique et de redéployer une nouvelle capitale mieux adaptée à ses besoins futurs. La Chine voit aussi les profits à engranger d’un tel projet immobilier, à condition d’en être le maître d’œuvre et l’investisseur. Enfin, elle voit l’opportunité de soutenir financièrement un régime militaire autoritaire, plus conforme à sa vision et philosophie politique dans le monde.
Le problème d’un tel chantier, se situe peut-être au niveau de son acceptabilité par la population – et sa capacité à répondre à ses besoins réels. En effet, selon l’architecte et urbaniste Karim Ibrahim, de l’ONG Tadamun, le Caire dispose déjà de 8 villes satellites, toutes vides car trop chères ou mal connectées. D’un autre côté, la vieille capitale a 50% de quartiers en terre battue et non reliés à l’eau courante. Contre ce projet clinquant de palmiers sous béton, les citadins fiers de leurs monuments, souks et venelles, s’arc-boutent pour rester en leurs murs. Ils notent enfin que le terrain de l’imminente Caire-bis est propriété militaire. Pour ce chantier extravagant, ils ont trouvé un surnom persifleur : « Sissi-Ville » !
Sommaire N° 34 (2016)