Editorial : La nation retient son souffle

Le compte à rebours avant le 70ème anniversaire de la République Populaire de Chine le 1er octobre, a commencé. La capitale vit sous une chape de plomb depuis quelques semaines. Les commerces n’ont plus le droit de vendre des couteaux, marteaux, et ciseaux. Tous les colis sont scannés au rayon X avant livraison, et les amateurs ayant commandé sur internet un drone ou une maquette d’avion télécommandé devront attendre après la fête nationale pour le recevoir. Cerfs-volants, lanternes, et vols de pigeons sont proscrits, les bouches d’égout sont scellées. Au Stade des Travailleurs, des chars à thème (« faucille et marteau » ou « grands leaders communistes ») sont garés en attendant le jour J. A tous les coins de rues, des calicots à la gloire du pays et de ses réalisations sont fièrement exhibés pour faire vibrer la corde nationaliste des passants. A Tangshan, ville voisine productrice d’acier, les quotas de production ont été réduits pour s’assurer un ciel azur des grands jours. Le contrôle de l’internet se fait également plus strict : la censure est renforcée et l’accès aux VPN presque impossible… Hu Xijin, le rédacteur en chef du Global Times (quotidien pourtant bien en ligne avec l’idéologie nationale) se plaint que « même » son journal soit affecté, alors qu’il défend régulièrement dans ses colonnes le concept de souveraineté numérique chinoise.

Chaque week-end, Pékin se fige le temps d’une répétition générale. Cela donne lieu à des situations ubuesques : des touristes interdits de quitter ou de regagner leur hôtel pendant presque 24h, ou des habitants bloqués au nord de ville, sans moyen de regagner leur domicile au sud… La nuit du 14 septembre, certains résidents avaient la surprise de voir défiler sous leurs fenêtres, à grand vrombissement, tanks, missiles, et autres véhicules amphibies…

En effet, au programme du 1er octobre, pas d’excès de liesse populaire spontanée, mais un défilé de 100 000 militaires et un gala chorégraphié rassemblant 60 000 personnes dans la soirée. 42 médailles seront décernées. Parmi les huit personnalités qui recevront celle de la République, Yuan Longping, le père du riz hybride, Tu Youyou, la scientifique ayant reçu le prix Nobel pour avoir découvert l’artémisine, traitement antipaludéen, et Tung Chee-hwa, le tout premier Chef  de l’Exécutif de Hong Kong. Quatre Lei Feng des temps modernes recevront le titre de « héros du peuple », dont un policier ayant trouvé la mort dans une attaque suicide au Xinjiang et un autre soldat tué au Mali. Parmi les six étrangers recevant la Médaille de l’Amitié, l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, la princesse thaïlandaise Maha Chakri Sirindhorn, le cubain Raul Castro, la canadienne Isabel Crook, témoin des grandes mutations chinoises depuis 1915.

On l’aura compris, cette célébration « doit être parfaite et se dérouler sans aucun accroc » selon le Secrétaire de Pékin, Cai Qi. Au Hebei, les mines de charbon sont inspectées pour éviter tout accident qui pourrait gâcher la fête. Au Xinjiang aussi, le patron de la région Chen Quanguo appelle les forces de l’ordre à « rester sur leurs gardes, et maintenir la pression ». Dans le Shaanxi, tous les policiers se voient interdire de consommer la moindre goutte d’alcool,  à domicile ou hors service ! A Hong Kong, on fait profil bas : les feux d’artifices sont annulés, et il n’y aura ni défilé, ni concert comme en 2009. Mieux vaut annuler les festivités sur place plutôt que de prendre le risque de s’y  retrouver dans l’embarras. Aussi, des dizaines de dignitaires hongkongais les plus proches du régime dont la chef de l’Exécutif Carrie Lam, sont invités à Pékin ce jour-là.

Finalement, cette fête qui s’annonce comme fastueuse et triomphaliste, ne viserait-elle pas plutôt à regonfler la confiance du régime en lui-même, au moment où il doute le plus ? Car si tout allait pour le mieux, pourquoi ce besoin irrépressible de tout verrouiller…

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