On garde en mémoire les protestations de Pékin à l’Union Européenne et aux Etats-Unis : à compter du 12 décembre 2016, le ministère chinois du Commerce revendiquait son dû dans le cadre du traité de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le statut d’économie de marché, promis en 2011 par ces blocs commerciaux. Il n’y avait rien à discuter – cette provision figurait noir sur blanc dans le Traité, à l’issue des 15 ans de période « transitoire ».
Le problème tenait bien sûr à la définition dudit statut, de l’adéquation du commerce chinois à la loi mondiale de l’offre et de la demande. Difficile de qualifier de « libre » ou « de marché » l’économie chinoise, avec ses dizaines de conglomérats pilotés par le super ministères de la SASAC, et régulièrement refinancés par la planche à billets. D’autant que l’Etat se sert de ces consortia comme fer de lance de ses espoirs d’expansion sur le reste du monde. Ainsi, le groupe suisse Syngenta, n°2 mondial de l’agrochimie et des semences OGM, racheté 43 milliards d’euros par ChemChina sur des emprunts garantis par l’Etat, doit lui servir à assurer un bond en avant agronomique, sur son sol et dans les pays émergents.
De même, par le jeu de subventions, d’allégements d’impôts ou de fourniture d’électricité à bas prix, les aciéries chinoises inondent les marchés occidentaux, menaçant l’existence de leurs concurrents. Durant les années de transition, Bruxelles protégeait ses 28 Etats membres par une taxe représentant l’écart entre le coût « réel » des produits chinois et leur prix-catalogue. La taxe était calculée à partir des données d’un pays tiers (Brésil, Inde…) – les données chinoises étant jugées manipulées et non recevables. Mais la Chine dénonçait ce procédé comme discriminatoire, puisque appliqué à elle seule – ce qui est interdit par l’OMC.
Aussi le 3 octobre, les trois branches de l’autorité européenne (Commission, Conseil et Parlement) ont trouvé une nouvelle solution. À compter du 1er janvier 2018, tous les pays de l’OMC seront logés à même enseigne : le dumping sera établi en cas de prix à l’export inférieurs au cours domestique, quelque soit le pays. L’astuce ici, tient en ceci : l’UE se réserve des exceptions en cas de « distorsions significatives », si un plaignant peut prouver que la distorsion résulte d’un protectionnisme excessif.
Ainsi, Bruxelles sauvera ses droits compensatoires, et pourra même les renforcer, en y intégrant les distorsions pour couverture sociale insuffisante, et protection défaillante de l’environnement.
Au Parlement Européen, les détracteurs ont vite dénoncé le report de la charge de la preuve du producteur chinois sur son concurrent européen. Mais la Commission a rassuré en informant qu’elle prépare des rapports sur les arsenaux protectionnistes de tout « grand pays qu’elle soupçonne de distorsions » : ils seront à disposition des plaignants des 28 Etats, pour instruire toute plainte anti-dumping.
Vieux problème, cette affaire des dumpings chinois constitue un litige de fond dans la relation Chine-Euro-pe. Jusqu’à présent, en dépit de ses hululements, Pékin a eu partie belle, face à une UE en fin de compte plutôt tolérante vis-à-vis d’exportations chinoises en progression exponentielle. Mais les temps changent.
L’affaire du Brexit et d’autres phénomènes récents, font apparaître un désamour parmi les opinions des Etats membres vis-à-vis du « machin » européen (selon le mot du Général de Gaulle), vécu comme technocrate, ultralibéral et sourd aux appels des populations locales. Mais Bruxelles se réveille et veut reprendre l’initiative – surtout face à la menace chinoise. Cette prise de conscience est une des raisons probables de la remise à niveau de sa « grande muraille » – l’autre étant l’obligation, face à l’OMC, de mettre fin à la protection établie à titre transitoire.
Une autre initiative à attendre à l’avenir, pourrait être la création d’un office européen calqué sur son homologue américain pour valider—ou interdire– les rachats étrangers d’actifs agricoles ou industriels.
Certainement dans un même souci d’autodéfense de leurs industries, Allemagne et France, fin septembre, bouclaient les tractations de fusion des branches ferroviaires Alstom et Siemens. La nouvelle entité aura des actifs de 15 milliards de $ pour 60.000 employés. Cette alliance doit être vue comme la réponse européenne à la concentration des groupes ferroviaires chinois en la CRRC, pesant 33 milliards de $. Si la fusion n’avait pas eu lieu, le risque de rachat « hostile » par le mastodonte chinois était sans doute inéluctable, vu l’imbattable capacité de la CRRC à financer ses chantiers à travers le monde.
Un tel renforcement des protections européennes apparaît aussi urgent, vu la mutation de l’économie chinoise et le projet de « une ceinture, une route » (OBOR ou « Nouvelles routes de la soie ») destiné à élargir son hinterland économique au monde, et sur lequel Pékin veut voir déverser 1000 milliards de $ à terme. Déjà chaque semaine, des dizaines de convois de marchandises sillonnent de nouvelles lignes à travers l’Eurasie. L’une d’elle, passant par Tomsk (Russie), charge les meubles d’une manufacture où la Chine a investi 960 millions de $. Simple exemple parmi d’autres, de cette économie chinoise globalisée.
Pour conclure, ce nouveau dispositif anti-dumping européen est loin de remplir les espoirs de la Chine – il ne fait que remplacer l’habillement juridique de l’armure précédente. Mais quelle sera la réaction de Pékin ? Comme prévu, elle ne l’entend pas de cette oreille et a déjà déclaré le 12 octobre que les « Etats-Unis et l’UE ne comprennent rien aux règles de l’OMC ». Aucun doute que ses prochains leviers de guerre commerciale sont déjà prêts…
1 Commentaire
severy
17 octobre 2017 à 18:07Il est tout aussi valable de prétendre que ni l’Union européenne ni les Etats-Unis ne comprennent les règles de l’OMC que d’affirmer que la Chine ne comprend rien à l’Art de la guerre (de Sunzi).