En juillet 1984, au lycée de Nanling (Anhui), Liu Yongbiao attendait les résultats du Gaokao (bac), qu’il venait de passer. C’état un élève médiocre, sauf en lettres, qu’il adorait. Ses profs l’accusaient d’un gros « poil dans la main », et aucun n’aurait misé sur lui un yuan pour un bel avenir—d’autant que les résultats du bac venaient de tomber : il ne figurait pas sur la liste des admis.
Dès lors, ses parents désespérés, pensant à leurs années de sacrifices pour lui offrir sa chance, lui présentèrent leur ultimatum : finies les études, Yongbiao allait devoir les rejoindre, les assister aux travaux des champs !
Yongbiao cependant nourrissait d’autres ambitions. Se voyant mi-brigand, mi-poète, il refusait de passer sa vie dans la glèbe et l’indigence, comme ses parents et ses ancêtres avant lui.
Pour réussir, il comptait sur l’écriture, sa belle gueule et son bagou. En attendant la gloire, il s’offrit une chambrette en ville, et survécut de petits jobs. Entre deux emplois précaires, il rédigeait les petits faits de ses jours, romancés en poèmes ou chroniques. En 1985, il fut publié, et puis primé par la Fédération des écrivains de l’Anhui. Il reçut un chèque et donna une poignée d’interviews – un début prometteur, à juste 21 ans ! Était-ce pour lui le tournant, où il « s’arracherait à la mer amère » (tuō lí kǔ hǎi , 脱离苦海) ?
Ce petit succès lui permit en tout cas de conquérir le cœur de Zhu Meilin, qui en pinçait pour lui mais s’était refusée jusqu’alors, faute d’une situation stable.
Une fois mariés, Meilin lui donna en ‘92 une fillette, heureux événement, mais hélas immédiatement suivi d’une bien mauvaise nouvelle : la petite avait un trouble oculaire congénital. Il serait peut-être opérable plus tard, mais les chances de succès étaient faibles.
Hélas pour Yongbiao, le coup d’éclat littéraire n’eut pas de suite. Or, il fallait faire bouillir la marmite, et payer les consultations, les soins de la petite… Yongbiao dut prendre un emploi stable, tout en publiant quand même, ça et là, des « œuvrettes » dans les journaux du coin !
Les choses se dégradèrent en 1995, avec la crise. À travers le pays, Zhu Rongji le Premier ministre, était en train de faire fermer des milliers d’usines sans avenir. Yongbiao, 31 ans, comme des millions d’autres, perdit son emploi.
Au moins, il n’était pas seul dans cette galère. Wang Ming, de 11 ans son ainé, était son frère de sang, partageant avec lui ses années de chien. Ming avait rêvé devenir juge. Dans la vraie vie, il n’était qu’un « conseiller juridique », titre fumeux qu’il s’était accordé lui-même. Ainsi, il allait de ferme en ferme, offrir ses services comme conciliateur entre voisins, réglant des litiges de vache crevée ou de clôture malicieusement déplacée par nuit sans lune. Ces derniers temps, les affaires allaient mal pour Ming…
Mais Yongbiao et Ming avaient deux mauvais génies, bloquant impitoyablement leur réussite : la paresse et le vice ! Presque chaque soir, les deux compères s’en allaient bras dessus, bras dessous, rejoindre d’autres garnements. Ils vidaient des verres de « baijiu », faisaient claquer sur la table les petits cubes d’opaline du mah-jong, se battaient plus souvent qu’à leur tour, et trouvaient leurs partenaires pour divers trafics interlopes et petites arnaques.
Le voyant revenir ivre, la bourse vide et chargé d’ecchymoses chaque nuit à pas d’heure, Meilin souffrait en silence. Mais un matin de novembre 1995, n’y tenant plus, elle le rappela à ses devoirs : il fallait trouver 5000 yuans (une fortune, à l’époque) pour l’opération de Huahua, faute de la voir perdre ce qui lui restait de vision…
Ming n’hésita pas à proposer son aide à son copain : ils partiraient pour un plan de la dernière chance. Une opération où l’on irait jusqu’au bout, quoiqu’il en coûte : l’échec n’était pas une option !
Ce 28 novembre, ils prirent le bus pour Huzhou (Zhejiang), grande ville de la province voisine, que Ming connaissait pour y avoir travaillé dans le textile. Sur place, ils descendirent à la modeste auberge Weilisheng. À eux deux, ils totalisaient 132¥, de quoi tenir deux nuits. L’étage ne comptait qu’un autre client, un quadragénaire en beau costume : le gars avait du blé, c’était sûr ! Quand Yu –c’était le nom de ce voyageur du Shandong – était descendu prendre son dîner, Yongbiao avait passé leur clé dans sa serrure : miracle, elle marchait !
Dès lors, le plan était tout trouvé : au plus noir de la nuit, ils entreraient dans sa chambre, le dépouilleraient puis repartiraient, ni vu ni connu !
À 3 heures du matin, ils firent incursion. Mais l’homme ne dormant que d’un œil, s’éveilla et tout de suite cria pour donner l’alerte : ils n’avaient d’autre choix que lui défoncer le crâne de coups de marteau dont ils s’étaient munis. Mais voilà qu’à la porte, se profilait le patron, éveillé par les cris : pas d’histoire, il fallait coûte que coûte, l’éliminer. Et puis sa femme aussi, qui criait de terreur dans la chambre voisine, et qui les supplia de l’épargner avec leur petit-fils de 13 ans. Comme en transe, ils les firent passer tous trois de vie à trépas !
Tous leurs plans étaient bouleversés, et leurs cœurs battaient la chamade. Chez le commis voyageur, ils trouvèrent le portefeuille, mais panique, il ne contenait que 10¥ ! Amateurs qu’ils étaient, ils ratèrent les 7000¥ en liasses de billets roses, cachées entre ses mollets et le caleçon long… Chez l’hôtelier, ils trouvèrent un peu de cash, butin qu’ils complétèrent d’une montre et d’une bague.
Et puis, abandonnant dans leur chambre leurs bagages, avec de multiples indices et pièces à conviction, ils s’enfuirent dans la nuit, vers leur nouveau destin d’assassins en rupture du ban !
Quel avenir pour ces deux paumés ? La suite, défiant toute imagination, au prochain numéro.
1 Commentaire
severy
17 octobre 2017 à 18:32Laissez-moi deviner…
Ils sont devenus membres d’honneur du Comité central? Ils se sont transformés en Lei Feng de supermarché? Ils ont trouvé refuge en Corée du nord? Ils courent toujours?