Peintre, photographe, plasticien, performer, Huang Rui (黄锐) a été l’un des piliers du mouvement qui a initié les premières formes d’expression artistique libre de la Chine d’après Mao. Artiste engagé, il n’a de cesse d’explorer la fonction de l’art comme reflet de la société et sa capacité à questionner les problématiques contemporaines.
Né en 1952 à Pékin, Huang Rui grandit dans les hutongs de la capitale chinoise. Initié dès l’enfance à l’art de la calligraphie, il est envoyé à l’âge de 16 ans dans une ferme de Mongolie Intérieure pendant la Révolution culturelle. C’est là-bas qu’il parvient à acquérir les bases de la peinture à l’huile auprès d’un artiste mongol, vivant en résidence surveillée à Hohhot.
De retour dans sa ville natale sept ans plus tard, il cofonde une revue littéraire indépendante « Aujourd’hui » (今天, cf photo) durant le « printemps de Pékin » en 1978. Le premier numéro, vendu devant le « Mur de la démocratie » au carrefour de Xidan, est vite épuisé…
Porté par ce succès, Huang Rui propose à un ami, Ma Desheng, de fonder un collectif d’artistes « non conformistes », s’opposant à l’art officiel. « Les Étoiles » (Xīng Xīng, 星星) sont nées. Un nom en partie inspiré du culte de la personnalité en vigueur à l’époque, où seul « le Soleil » (le Président Mao) brillait… Les deux compères sont bientôt rejoints par des artistes tels que Wang Keping, Qu Leilei, Zhong Acheng, Bo Yun, Li Shuang, ou encore Ai Weiwei…
Véritable coup d’éclat, en septembre 1979, ils accrochent leurs peintures et sculptures politiquement « incorrectes » sur les grilles du Musée des Beaux-Arts de Chine (NAMOC, cf photo). Cette exposition sera réprimée par la police trois jours plus tard… Faisant face à la critique officielle, le groupe est volontairement démantelé en 1983. La majorité de ses membres quittent alors la Chine pour les États-Unis (Ai Weiwei), la France (Wang Keping) ou la Suisse (Ma Desheng)… Huang Rui lui, s’envole pour le Japon en 1984. Il y restera plus de quinze ans.
Durant cette période, l’artiste élargit le spectre de ses pratiques : de la peinture inspirée de l’art occidental, à la photographie, l’installation et la performance.
Le texte devient omniprésent dans ses œuvres, qui incorporent de nombreuses références historiques et politiques. C’est ainsi que l’artiste joue avec les mots et détourne avec ingéniosité des citations marquantes des grands leaders du Parti Communiste, qui prennent la forme de caractères peints sur de grandes toiles, de textes imprimés, d’installations calligraphiques, de sculptures, voire de performances.
Dans l’une de ses œuvres, il utilise exactement 10 000 yuans en billets de banque pour écrire le slogan « Que le Président Mao vive dix mille ans » (毛主席万岁), exprimant le paradoxe posé par la cohabitation idéologique du socialisme et du capitalisme dans la Chine d’aujourd’hui.
Dans sa série de peintures China/Chai-Na, Huang Rui associe le mot anglais pour « Chine » et les caractères chāi (拆) et nà (那) qui signifient respectivement « démolir » et « ici / cela », en référence à la destruction massive de certains quartiers de Pékin pour les Jeux olympiques de 2008.
Fervent partisan de la préservation et de la valorisation du patrimoine architectural, Huang Rui est à l’initiative, avec la commissaire d’exposition Bérénice Angremy, de la création dans la capitale chinoise, d’un quartier artistique à Dashanzi. Ses efforts pour protéger ce district de la démolition ont abouti en 2006 à la protection du site de « 798 », du nom de son ancienne usine.
L’histoire se répète avec la « Cloud House » (ou Pavillon des Nuages, 白云馆), située à l’extérieur du 5ème périphérique de Pékin. C’est sur le site d’une ancienne décharge que l’artiste va bâtir en 2007 sa résidence et son atelier à l’aide de 200 000 briques provenant du Vieux Pékin. Transformé en lieu d’exposition fin 2017, l’espace est alors menacé par les bulldozers…
Dénouement heureux, la gestion de la « Cloud House » a finalement été confiée en mars 2021 à la Fondation KS Jonathan Choi. Le public pékinois pourra y découvrir une offre artistique chinoise, française, mais aussi européenne, grâce au réseau chinois des centres culturels européens « EUNIC » qui sera associé à la programmation du « Cloud House – Choi Center ».
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Le travail de Huang Rui a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles notamment au Musée Coudenberg à Bruxelles (2009) ; au Museo delle Mura à Rome (2009) ; au He Xiangning Art Museum à Shenzhen (2007) ; aux Rencontres d’Arles (France) en 2007 ; au Contemporary Art Center de Osaka (1990).
Ses œuvres ont également été incluses dans de nombreuses expositions collectives, notamment à la Maison de la Chine à Paris (2019) ; au Musée Guggenheim à New York (2017) ; dans six villes allemandes (2015) ; à la Biennale de Venise (2013).
Une large sélection de ses œuvres abstraites, dont certaines n’ont encore jamais été présentées au public, sera visible du 25 septembre au 19 décembre 2021 à l’UCCA (Pékin), à travers une exposition personnelle prénommée « Huang Rui: Ways of Abstraction ». À vos agendas !
2 Commentaires
severy
24 août 2021 à 08:33On aimerait bien y aller…
Mazoyer
27 septembre 2021 à 15:07J.ai visité 798 plusieurs fois. Insolite et très intéressant.