Petit Peuple : Shanghai – Lai Zhaoqian, faiseuse d’empereur (3ème partie)

Résumé de la deuxième partie : Huang Taiyang, vient d’être nommé Secrétaire de la province du Yunnan, le plus jeune du pays. Sa maîtresse et femme d’affaires Lai Zhaoqian, convaincue qu’il sera un jour à la tête du pays, lui fit confectionner une tenue impériale somptueuse en cadeau.

En 2012, pour Huang et Lai qui y débarquaient, le Yunnan fut comme le décor d’une guerre fraiche et joyeuse, où à tous les coups l’on gagnait sans risque, loin du regard de la capitale – comme on dit en Chine, « le ciel est haut et l’empereur est loin » (天高皇帝远tiān gāo huángdì yuǎn). Parfois cependant, il arrivait à Huang de se retrouver assailli de doutes et de terribles pressentiments lorsque par exemple un mystérieux visiteur venant non annoncé de Pékin lui posait toutes sortes de questions étranges, ou bien lui l’interrogeait sur un ordre de mission sentant à un « li » (500m) ses services frauduleux … En de telles circonstances, une fois Huang de nouveau seul dans son immense chambre à coucher, il se mettait à trembler de tous ses membres.

Pour s’affranchir de ses démons, il avait heureusement une méthode infaillible. Seul ou avec Lai, il revêtait sa toge impériale, et reprenait son calme à travers les allées de son parc privé, autour de son étang où nageaient paresseusement ses cygnes blancs et noirs.  Cela suffisait à lui rendre une sérénité parfaite.

Peut-être à cause de ces épisodes de grandes inquiétudes, Lai et Huang redoublaient de prudence. Ils communiquaient surtout par téléphone satellitaire, hors de prix, mais seule assurance de n’être pas écoutés… Ils ne se voyaient plus qu’une à deux fois par semaine, lors d’événements mondains, histoire de faire le point sur leur sécurité ou se présenter des prospects utiles à leurs affaires.  

A peine arrivé dans son nouveau fief, Huang avait placé ses hommes aux postes clés, à la tête de la police et de la commission économique municipale, laquelle préparait et votait les chantiers à lancer à travers la province – plantations de caféiers, centre de recherche en ginseng, chaîne de montage d’hélicoptères. Ces contrats étaient ensuite alloués à Lai, ainsi qu’à d’autres amantes du Secrétaire provincial. En 2016, Lai donna au monde un indice de sa capacité d’influence, en privant le premier groupe national de génie civil d’une affaire qu’il venait d’emporter, la 5ième ligne de métro de Kunming, estimée à 25 milliards de yuans, coût énorme dû au nombre de tunnels et de viaducs à bâtir à travers cette ville au relief tourmenté. Lai travaillait avec le rival de ce groupe, un n°2 national. Quoique respecté et compétent, ce candidat avait été écarté de l’appel d’offres, laissant la voie libre au n°1 conformément au vœu affiché du ministère de tutelle.

Mais c’était compter sans Lai et surtout Huang, décideur final dans sa province : défiant Pékin, il osa dissoudre le comité de sélection, en appeler un autre et convoquer un nouvel appel d’offres, qui tranchait tambour battant en faveur du n°2…

Tout semblait bien aller pour Huang. Au printemps 2016, il reçut le chef de l’Etat en personne, qui le félicita sobrement pour son dynamisme économique. Loin d’être anodine, cette visite pouvait laisser présager qu’il était choisi comme successeur à la tête du pays. Ce soir-là, une fois le Président reparti, Huang organisa une fête peu : 80 de ses proches embarquèrent à bord de cinq jonques naviguant sur le lac illuminé de la ville avec orchestre embarqué et feux d’artifice célébrant sa victoire.

Hélas, ce que Huang ignorait, c’est que cette visite marquait le début de sa chute. L’affaire de la cinquième ligne de métro avait fait des remous, entretenus par le consortium national spolié de sa victoire. Les jalousies se multipliaient dans bien d’autres secteurs aussi. Par ses manœuvres illégales, le tandem Lai-Huang avait dérangé de nombreux intérêts. D’ailleurs, c’était surtout au plan politique que le couple avait fauté, en briguant si ouvertement le poste suprême. Averti, le n°1 du pays n’était pas du tout prêt à lui céder son trône.

Durant toute sa carrière, Huang, véritable anomalie sur l’échiquier chinois, était parvenu à grimper les différents échelons sans protecteur. Avec beaucoup de chance, à chaque tour de promotion, il avait pu monter, évinçant des adversaires plus puissants que lui, mais soutenus par des factions rivales. On l’avait donc choisi comme homme de compromis, afin d’éviter de froisser les sensibilités locales ou de déstabiliser les délicats équilibres nationaux. Obnubilé par le souci de maintenir la stabilité, l’appareil craignait de devoir choisir entre deux ténors : il optait pour un troisième – Huang. Sa jeunesse aussi avait joué en sa faveur, ainsi que sa réputation d’administrateur dynamique. Mais plus il se rapprochait du sommet, et plus l’état-major y réfléchissait : cet homme qui désormais affichait ouvertement sa prétention d’exercer le mandat suprême, devenait le rival du dirigeant en place – c’était inadmissible !

C’est alors qu’on commença à découvrir que Lai n’était pas forcément si bonne administratrice – finalement peut-être, seul l’entregent de Huang et la triche lui avait permis de réussir. 20 ans en arrière, elle avait dû céder sa JV de jus de carotte ruinée, avant de la voir redémarrer dans d’autres mains pour devenir un des fleurons du pays. De même, son projet de services digitaux pour PME avait périclité, forçant Kunming à payer des subventions géantes pour lui éviter la faillite. La rumeur et le scandale bruissaient toujours plus fort. C’est alors que débarqua chez elle la dizaine de comptables de la CCID, Commission nationale de discipline, nantis d’une mission rogatoire pour éplucher ses livres de comptes. Partout à travers la Chine, la mission inspecta les entreprises de Lai. Tout l’écheveau fut démêlé. Bien entendu, c’était moins après elle qu’après Huang que Pékin en avait : l’affaire du manteau impérial ne passait pas.

Dès février 2017, la CCID accusa Huang de n’avoir pas assez nettoyé les nids de mafieux de son prédécesseur. S’ensuivirent quatre mois fébriles où le couple désespéré tenta de sauver sa tête, elle bradant et fourguant son empire commercial, lui sacrifiant un à un ses meilleurs lieutenants. En vain : Lai fut arrêtée en mai, Huang 60 jours plus tard. Tous les trésors délicats de son palais furent alors chargés à bord de 5 camions kakis, y compris la fameuse robe impériale. Huang fut coup sur coup dépossédé de sa position de roitelet rouge du Yunnan, de sa carte du Parti et de sa position au Politbureau. Six mois plus tard, un juge promulguait son verdict de privation de liberté à perpétuité. Autant sa montée au firmament rouge s’était faite en étoile filante, autant sa chute fut celle d’une simple comète, rapide, brutale et irrémédiable. C’en était fini de leur rêve de pouvoir. Huang et Lai étaient pourtant passés à deux pas de la victoire, et leur parcours resterait pour longtemps gravé dans les mémoires : l’histoire d’un couple sans froid aux yeux, partis du plus bas, seul et sans piston, avec l’espoir d’un jour diriger la Chine !  

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2 Commentaires
  1. anneribstein

    Histoire incroyable ! La fin rappelle la rivalité de Louis XIV et Fouquet, et la fête somptueuse donnée par ce dernier, qui a provoqué sa chute et son emprisonnement. Autres temps, ambition et chute analogues …
    Merci

  2. severy

    Excellent récit.
    Voici ce qui se passe quand on a les yeux plus grands que le ventre.

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