Sur les marchés du pays, la grogne gagne : le prix de la viande préférée des Chinois, avec 55kg annuels consommés par personne, a presque doublé (+46,7%) sous l’effet de l’épidémie de fièvre porcine (ASF) qui fait rage depuis 13 mois. Et les prix ne baisseront probablement pas avant le nouvel an chinois, fin janvier 2020… Des internautes tournent la situation en dérision, l’un exhibant une belle poitrine de porc à son cou pour afficher sa richesse.
Cette inflation devient un sérieux sujet d’inquiétude pour les autorités qui ont déroulé une série de mesures d’urgence. D’abord, l’Etat a décaissé 2,4 milliards de yuans depuis avril, pour aider les foyers les plus fragiles à faire leurs courses. A Nanning (Guangxi) et Canton (Guangdong), chaque habitant pourra acheter un kilo de porc 10% moins cher que le prix du marché. La réserve nationale, créée en 1996 pour contrôler les prix de certaines denrées alimentaires, sera également mise à contribution, en décongelant des dizaines de milliers de tonnes de porc, bœuf, et agneau. Selon Lei Yi de China Merchant Securities, elle contiendrait 1,09 million de tonnes de porc, mais il en faudrait 10 millions pour que le pays satisfasse à son appétit !
Selon des chiffres officiels, le cheptel porcin est 22% moins important que l’an dernier. D’autres estimations sont plus pessimistes : dans le Shandong par exemple, il a été réduit de 41%. Plus de 200 millions de porcs vont manquer à l’appel, décimés par la maladie ou abattus, selon la banque hollandaise Rabobank. Et de nouveaux cas continuent à être déclarés chaque semaine, comme dans une petite ferme du Yunnan le 26 août ou dans une autre au Ningxia le 10 septembre. Les recherches de l’institut vétérinaire de Harbin pour mettre au point un vaccin, ont fait « des progrès significatifs ». Les essais cliniques devraient débuter prochainement. Des vaccins expérimentaux circulent déjà, ce qui forçait le ministère de l’Agriculture à traquer ces faux remèdes, pouvant faire plus de mal que de bien.
Début juillet, le Conseil d’Etat reconnaissait que la gestion de cette épizootie avait connu des manquements. Si le virus s’est propagé sur tout le territoire chinois, ce n’est pas uniquement à cause du manque de mesures de biosécurité. En effet, les gouvernements locaux ont rechigné à signaler de nouveaux cas de contaminations afin de ne pas avoir à payer aux fermiers les subventions promises par le pouvoir central. C’est la raison pour laquelle les éleveurs ont dû se débrouiller pour vendre leurs porcs contaminés aux abattoirs, parfois à des centaines voire milliers de kilomètres, dans des provinces voisines…
De ce fait, le Conseil d’Etat appelait à ce que les subventions aux élevages touchés soient distribuées « plus rapidement ». Des aides, jusqu’à 5 millions de yuans, seront désormais proposées aux larges élevages, afin d’élargir leurs exploitations et améliorer le niveau de sécurité sanitaire du secteur. Ils devraient atteindre 58% du total des élevages d’ici à 2022. C’est un objectif ambitieux si l’on se réfère aux chiffres de Rabobank : en 2016, les fermes de plus de 10 000 têtes ne représentaient que 18%. La transition entre un secteur reposant essentiellement sur des exploitations familiales et petits élevages, à un autre constitué de larges exploitations ne sera pas sans écueils. De quoi vivront les modestes paysans à qui on aura pris leur gagne-pain ? Et quid de leurs terres ? Surtout, cette transformation ne se fera pas du jour au lendemain. A tout le moins, cette épidémie représente pour l’Etat une occasion de professionnaliser son secteur.
Sommaire N° 32 (2019)