Trois mois après leur rencontre, Gao Peng l’industriel appela Lin Fen au téléphone, le ton bien embarrassé : il avait une échéance criante, une commande pas livrée à temps… pouvait-elle lui prêter 100.000¥ ? Elle le tirerait d’un sérieux ennui !
Lin Fen acquiesça sans hésiter : n’était-il pas l’homme de sa vie ? Si sûre en était-elle, que quand vint le jour du remboursement, elle n’osa même pas le lui rappeler. C’est seulement trois mois après, étant elle-même à court d’argent, qu’elle osa le lui demander. A sa grande surprise, Gao s’excusa de ne pouvoir lui rendre ses sous, et alla même jusqu’à lui en réclamer davantage. En effet, à l’usine, une chaîne était en panne, qu’il fallait remettre en route, pour un coût démentiel ! En plus, un employé congédié s’était plaint, quoique Gao l’eût si bien traité… Depuis, le syndicat et le fisc le poursuivaient sans relâche. S’il ne trouvait pas d’ici quelques jours 250.000¥ pour régler le problème, il serait saisi.
Lin Fen fut émue de voir son homme, si droit en affaires, victime de magouilles. Justement, elle avait économisé pour changer sa voiture : elle lui donnerait donc cet argent, et s’exécuta. Le soir même, un Gao Peng, très gentleman, lui fit livrer un bouquet de pivoines, ses fleurs préférées ! Lin Fen était aux anges, voyant se rapprocher la vie de couple.
Et la vie continua cahin-caha… Ils continuèrent à échanger des messages sur WeChat. Il lui promettait de l’épouser, dès que l’usine tournerait. Alors, main dans la main, ils construiraient ensemble le foyer de leurs rêves. Ivre d’espoir, elle l’aimait chaque jour davantage.
En attendant, Gao Peng n’était pas sorti de l’auberge. En janvier 2017 : un test médical de routine lui détecta une tumeur. Le traitement coûtait 500.000¥, et sauf de s’y astreindre, c’en était fini de lui ! Le cœur gros, Lin dut hypothéquer la boutique… Après l’opération, l’amant promit de la rembourser pour la Saint Valentin, le 14 février 2017. Ils se verraient alors pour la première fois, au restaurant. Ce soir-là, il lui offrirait une bague, « elle pouvait deviner laquelle » !
Lin Fen resta étourdie de cette quasi-déclaration, si vague qu’elle fût. La réalité n’avait dès lors plus prise sur elle. Elle était comme emportée par une transe permanente, sur une autre planète.
Ses parents, à qui elle racontait tout, tentaient de la mettre en garde : après tout, cet inconnu qu’elle n’avait pas vu une fois en 4 ans de relation, avait réussi à lui soutirer un million et demi de yuans… Ca sentait le roussi ! Mais la quadragénaire refusait de voir les choses en face : avec l’énergie du désespoir, elle défendait son homme, son ultime amour.
Ce n’est que le 14 février, la journée déjà bien écornée après de longues heures où son smartphone était resté obstinément muet, que Lin comprit que Gao s’apprêtait à lui poser son énième lapin. Alors, baissant les bras, elle laissa ses parents la traîner au commissariat pour expliquer toute son histoire aux policiers. Et là, en quelques heures d’enquête-éclair, ils découvrirent le pot aux roses : Gao Peng n’avait jamais existé. Depuis le 1er jour, Lin Fen ne parlait pas à un homme mais à une femme, qu’elle ne connaissait que trop…c’était sa fidèle amie, Ma Ping !
Amenée manu militari, Ma Ping passa vite aux aveux. « Depuis qu’on se connait, dit-elle, tu as toujours été trop gentille envers moi, trop emplie d’une insupportable volonté d’aider… En plus, tout te réussissait, alors que moi, avec mon salaire de misère, j’avais du mal à joindre les deux bouts. Quand tu m’as raconté ton histoire de divorce, c’était exaspérant de simplicité : comment n’avais-tu pas pu voir que ton mari te trompait avec tant de femmes, faisant jaser tout le quartier ? Je me demandais jusqu’où irait ton aveuglement. C’est pourquoi je t’inventai cet ersatz de petit copain, pour voir si tu avalerais la supercherie. Mais tu étais tellement naïve, que je n’ai même pas eu besoin de déguiser ma voix au téléphone : « en entendant le vent, tu pensais qu’il allait pleuvoir » (tīngfēng jiùshìyǔ 听风就是雨). Je me disais qu’à un moment, tu commencerais à te méfier et me dirais ‘ Allez Ma Ping, je t’ai reconnue, arrête ton char’ ! Mais non, tu as tout gobé… Plus c’était gros, plus ça passait. Quand j’ai été sûre que tu tombais amoureuse, j’ai commencé à aller plus loin, à te soutirer d’abord des petites sommes, puis de plus en plus grosses. Je célébrais ça dans les karaokés avec une ribambelle de joyeux fêtards, à tes frais : magnum de Champagne, montagnes de fruits, massages, et autres services VIP. J’attendais toujours le moment où tes yeux se décilleraient. On dirait bien que ce jour est venu mais je ne regrette rien, tu étais une cible si facile… »
Entendant la confession méprisante de celle qu’elle avait cru son amie de cœur, Lin Fen était dans tous ses états. Son visage reflétait horreur, dégoût, incrédulité, pour finir sur un sourire dubitatif. Quand Ma Ping eut fini, elle laissa passer un silence avant de prendre la parole, en présence des policiers médusés : « bien, soit, tu m’as escroqué une petite fortune. Mais ne t’y trompe pas, c’est toi la véritable perdante, qui passera des années à l’ombre. Finalement, tu as même échoué à me faire te haïr, je te plains seulement ». Puis elle la planta pour aller dans la salle voisine, compléter sa plainte.
Depuis, dans sa cellule, Ma Ping attend. D’après l’article 266 du Code Pénal, elle risque lourd : trois à dix ans de prison, « voire la perpétuité… au cas où l’escroquerie est particulièrement grave, de par son volume, ou bien ses circonstances ».
1 Commentaire
severy
23 septembre 2017 à 21:51« Adieu veau, vache, cochon, couvée. »
Pourquoi ne pas « offrir » à Ma Ping un séjour charmant tous frais payés de vingt ans dans un des nombreux goulags de Corée du nord? Elle pourrait ainsi, par son labeur volontariste et sa bonne humeur contagieuse, contribuer efficacement à l’amélioration des relations fraternelles entre les deux régimes, relations qui ont tendance à se diriger à la vitesse grand V vers ce qui ne manquera pas dans un avenir plus très éloigné, de se révéler comme étant proches du zéro absolu.