Antilles et sud des Etats-Unis ne sont pas les seules victimes du dérèglement climatique (ouragans…). En Chine, le réchauffement global frappe au Tibet, menaçant de répercussions sur l’Asie entière. Ce haut plateau à plus de 4000m d’altitude est le berceau de trois fleuves (Yangtzé, Fleuve Jaune et Mékong), et de dizaines de milliers de glaciers, appelé de ce fait le 3ème pôle de la planète. Une étude récente de l’Institut de physique atmosphérique de l’Académie des Sciences établit qu’en 2013 au Tibet, la fonte des neiges intervint 8 jours plus tôt qu’en 1960, et que le phénomène s’accélère : depuis 2003, elle a avancé de 8 jours.
Par conséquent, le pergélisol (le permafrost en anglais), en dégelant, inonde le plateau tibétain, noyant les champs. La photosynthèse change aussi : les plantes à cycle rapide vont éliminer celles à cycle lent, au risque de priver la faune de leur diète, voire les 40 millions de brebis d’élevage, les 14 millions de bœufs et yaks. À moindre altitude, à travers la Chine et six pays riverains du Mékong, des centaines de millions d’habitants vont devoir s’adapter à une mousson différente, entraînant un cycle néfaste de crues et de sécheresses.
Se combinant à la dégradation de l’environnement, le réchauffement climatique a convaincu le Président Xi Jinping de saisir le taureau par les cornes. Aux murs des usines et dans la presse, le vieux slogan de Deng Xiaoping « le travail concret agrandit la nation » laisse place à celui de Xi, « eaux vives et montagnes vertes sont des monts d’or et d’argent ».
Les fonctionnaires sabotant les règles de l’environnement, sont désormais montrés du doigt à la télévision. Xi vient aussi d’institutionnaliser le système des « chefs de rivières », cadres personnellement responsables de la propreté d’une section de cours d’eau. Ils sont 200.000 désormais, aux noms placardés avec leur numéro de portable, sur les berges de « leur » rivière. Grâce à ce système au Jiangsu, la part d’eau « consommable », qui était de 35,5% en 2011, est passée à 63,9% en 2016.
Cette gouvernance innovante est combinée à d’autres mesures : 8000 chantiers de nettoyage de cours d’eau ont lieu en 2017, visant la réhabilitation de 325 nappes aquifères. 2100 sections ont été classées « noires et puantes » – 44% ont déjà reçu filtres et centrales d’épuration.
Depuis janvier, cinq missions d’inspection ont été lancées à travers le pays, traquant les émissions illégales d’effluents. La dernière date du 15 septembre, lancée sur 8 provinces, avec 102 experts des normes environnementales, connaissant toutes les ficelles de la fraude.
Ces missions rencontrent tous les types d’accueils. Certaines délégations du ministère de l’Environnement se voient dénier l’accès aux mines ou aux usines, dont certaines refusent froidement de s’équiper de filtres, ou de les enclancher, afin de limiter leur facture d’électricité. Elles préfèrent payer l’amende et reprendre leurs fumées nocives, sûres que les enquêteurs ne reviendront plus d’ici un an. Les pires sont les industries lourdes, aciéries du Hebei qui émettent le plus – encouragées par la flambée des prix de cet été, et en prévision de fermetures en octobre pour cause de XIX. Congrès.
D’autres inspecteurs par contre, sont moins accommodants : ce sont les hommes de la CCID, police du Parti, et du département central de l’Organisation, en charge des promotions. L’administration de base les craint tant qu’elle préfère fermer leurs usines les plus polluantes, avant même leur arrivée.
Bilan : depuis janvier, 39.500 infractions ont été détectées,12.000 cadres punis, 132 millions de $ d’amendes prélevées. C’est du jamais vu !
Pour la région « Jing-jin-ji » (Pékin-Tianjin-Hebei), l’objectif est de réduire de 15% les microparticules de 2,5µ dans l’air, et de 15% le nombre des jours très pollués de novembre à mars. A Pékin, tout chantier sera arrêté durant cette période. D’ailleurs au plan national, les régions seront classées entre zones « vertes » et « rouges » selon leur degré de pollution : les rouges verront les firmes coupables taxées ou fermées, et tout projet (usine, infrastructure…) bloqué. Les vertes auront droit à des primes.
Une autre source de pollution rentrant dans le « radar » public, est l’agriculture. Il se trouve que 12% des cultures (celles des légumes hors serre, cf photo) sont couverts en hiver de film plastique noir conservant chaleur et humidité, mais impossible à recycler après récolte (trop fins) et non-biodégradable (ce qui les rendrait trop cher). Hélas, pas de solution en vue, étant donné l’obsession de l’Etat de favoriser une production suffisante et à bas prix.
L’élevage lui, génère chaque année 4 milliards de tonnes de lisier pour la plupart non recyclé, polluant pour des décennies le réseau aquatique. Ici, le ministère de l’Agriculture encourage la création de centres de retraitement dans 200 districts « gros éleveurs » (sur 586 à travers le pays). L’aide prendra la forme de subventions, de prêts bonifiés, d’allègement de taxes et d’énergie à bas prix. Les centres de retraitement produiront un engrais sec naturel, destiné à remplacer l’engrais chimique. Car en même temps, le monde rural chinois, par manque de formation, enfume excessivement ses champs, comptant pour 33% des engrais chimiques et des pesticides de la planète, dont l’excédent va lui aussi se déverser dans les rivières, causant le phénomène d’eutrophisation. Ici enfin, le pays s’est donné un objectif : enrayer la croissance d’usage de ces deux produits, d’ici 2020.
C’est ainsi que pour la première fois dans son histoire, la Chine change de paradigme. Désormais, la croissance ne sera tolérée que si elle respecte l’environnement.
Sommaire N° 32 (2017)