Finance : Bitcoin — demi-tour, droite !

Jusqu’à hier, la Chine était le premier marché mondial du Bitcoin (BTC). Son appétit pour cette cryptomonnaie a fait tripler sa valeur cette année, atteignant jusqu’à 5000 $ par BTC. Le Bitcoin est échangé sur internet via des plateformes décentralisées, hors contrôle direct de la Banque Centrale (BPdC). Mais en un formidable demi-tour, le 12 septembre, la BPdC et la NIFA (Association de la finance sur internet) ordonnaient la fin d’activité de toutes les plateformes chinoises d’ici le 30 septembre – le temps de rendre aux clients leurs actifs reconvertis en yuans ou bien les aider à exporter leur cryptomonnaie. Cette annonce faisait tomber le cours mondial du bitcoin de 20% à 40%

Raison alléguée : depuis janvier, les plateformes avaient émis 65 ICOs (Initial Coins Offerings), levées de fonds de type boursier, en cryptomonnaies comme le BTC ou Ethereum, pour 2,62 milliards de yuans, sans cadre légal. Début septembre, les plateformes espéraient encore sauver leur peau en sacrifiant les ICOs. Mais quelques jours après, elles déchantaient : c’était tout échange en bitcoins et autres cryptomonnaies que Pékin rendait illégales, en tant que rivales du RMB.

Car les raisons de la mise au ban dépassent la pratique des ICOs. Anonyme, le bitcoin permet de financer des activités combattues par le régime : banditisme, blanchiment, drogue, et même séparatisme… Il alimente aussi la fuite des capitaux.

En éradiquant le bitcoin pourtant, l’Etat se prive d’alléchants outils internationaux d’avenir. Le bitcoin pouvait devenir l’épine dorsale financière de ses « nouvelles routes de la soie » (OBOR), de ses consortia sur les cinq continents. Leurs millions d’usagers futurs, en Afrique comme en Europe, pourraient payer leurs services d’un simple clic, sans frais de change, ni intermédiaires, réalisant ainsi de fortes économies. Malgré tout, l’Etat semble avoir décidé que la somme des risques dépassait celle des avantages.

Pour quelles raisons ? Les problèmes décrits plus haut (l’usage du bitcoin comme sanctuaire d’activités criminelles) n’expliquent pas tout le problème—les bandits ne sont qu’une fraction minime des usagers. John McAfee, inventeur de l’anti-virus éponyme et acteur du BTC, explique que par son anonymat, le bitcoin crée une opportunité d’échapper à la taxation, pour les personnes physiques comme morales. Le danger est grand, pour l’Etat, de voir s’évanouir une part majeur de ses recettes fiscales. Loin de se limiter à la Chine, l’écueil menace tous les Etats souverains. Aussi, Pékin ne devrait pas être le seul à bannir les paiements par blockchain (la technologie du bitcoin)– à moins que les Etats ne renforcent la coopération multilatérale pour contrôler ces flux, et prélever leur part.

Plus radical, Jamie Dimon, Président de la banque JPMorgan, qualifiait à New York le 12 septembre le bitcoin de « fausse monnaie, appelée à exploser un jour ». Cette déclaration entraina une chute momentanée du cours du bitcoin, mais les internautes ne tardèrent pas à relever que juste après, JPMorgan, profitant de la baisse, achetait pour 3 millions d’euros en dérivatifs du bitcoin. Mais c’était « comme simple intermédiaire », se justifia la banque. En parallèle, JPMorgan a déjà investi 7,7 milliards d’€ en divers projets d’utilisation de la blockchain pour réduire ses coûts.

Le camp des « geeks » supportant le bitcoin voit dans cette attitude de JPMorgan, partagé par la plupart des autres maisons financières, une stratégie opportuniste et d’attente. Tant que les Etats n’ont pas créé de cadre légal (licence, contrôle, taxation) aux cryptomonnaies, elles ne peuvent y investir, et ne pourront le faire,  qu’une fois les lois en place. En attendant, elles s’efforcent de ralentir leur valorisation, avant leur propre entrée sur le marché, laquelle devrait alors propulser le bitcoin vers son niveau définitif.

Et la Chine ? Elle pourrait elle aussi être sensible à cette perspective et cette stratégie d’attente : ce serait une autre raison à son interdiction d’échange du bitcoin. Après tout, Pékin, même en extirpant le bitcoin de son sol, ne pourra pas « tuer » ce marché atteignant déjà 150 milliards de $. Elle ne peut même pas stopper l’export massif des bitcoins « chinois » vers les plateformes du Japon et de Corée du Sud, nations plus avancées dans la constitution d’un cadre légal des cryptomonnaies. Le Japon a légalisé son usage en avril, et aux Etats-Unis, le Chicago Board of Exchange réclame le feu vert pour des produits dérivés des cryptomonnaies (attendu début 2018).

Il est connu que la Banque Centrale chinoise travaille depuis 2015 à son propre « yuan virtuel », basé sur la technologie des blockchains. Début 2017, celle-ci déclarait les tests « achevés », et certains bruits lui prêtaient l’intention de la lancer en 2018.

Signe symbolique du divorce en cours entre Chine et bitcoin : le Blockchain Global Summit, conférence internationale, a été annulée à la veille de son ouverture à Pékin le 10 septembre, puis reportée au 20 septembre à Hong Kong.

Pékin va également devoir décider du sort de l’activité de mine—de création des bitcoins. Au niveau mondial, plus de 80% des bitcoins sont créés par des batteries de centaines ou milliers d’ordinateurs au Gansu, Tibet ou Xinjiang.

Dernier point, un peu inattendu : suite à la mise au ban du bitcoin en Chine, la plupart des opérateurs, même chinois, applaudissent à deux mains, comme Charlie Lee, président de la compagnie Litecoin. Pour eux, « la Chine se prive désormais de toute latitude pour manipuler le marché, comme depuis 2013 ». Mais est-ce bien vrai, et définitif ? Vus les enjeux mondiaux et la marche constante de la Chine vers son intégration dans les marchés financiers des cinq continents, il est permis d’en douter.

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