Basée sur une stricte morale confucéenne, l’éducation chinoise est supposée assurer à l’enfant un développement harmonieux et libre de conflits.
Mais est-ce bien le cas ? Il se pourrait que la famille, confrontée au maelstrom des mutations de ce siècle, ait du mal à fonctionner. Interdisant toute contestation, une autorité parentale rigide impose dans la maison un profond silence. De nombreuses études confirment que parents et enfants ne parviennent pas à échanger.
Or il se trouve que cette tendance vient s’ajouter à une protection excessive dès les 1ers jours du « petit dragon » (que les membres du clan rivalisent à gâter). Tout ceci finit par lui faire perdre toute confiance en soi en écartant de son chemin toute chance de challenge. Ce travers cause parfois un développement insolite, entre monstrueux et tragi comique.
Passé 20 ans, le jeune s’incruste chez ses parents, reportant aux calendes grecques le saut dans la vie d’adulte. La crise mûrit et rampe, jusqu’à ce que père et mère, épuisés, chassent du nid le vieil oiselet. C’est un nouveau syndrome aux antipodes exacts de celui du « nid vide » (celui où les parents, une fois l’enfant parti, doivent se recomposer une nouvelle vie). Ce syndrome porte le nom de « kěnlǎozú » (啃老族), le bébé(adulte) qui, au lieu de téter le biberon, « grignote la chair du clan ».
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À Changsha (Hunan), à l’automne dernier, le cas de Kuang Zhengxuan a défrayé la chronique. Pourri gâté dès sa naissance, il n’écoutait rien à l’école, se levait quand il lui plaisait, et rechignait à faire ses devoirs. Même en gym, il tirait au flanc, trouvant la discipline « trop bête ». A 13 ans d’ailleurs, il jetait l’éponge, abandonnait le collège pour aller « chercher sa voie ailleurs ». Ce soir-là, ses maîtres allaient prendre un verre au bar du coin pour célébrer ce bon débarras !
Les années passèrent. Ses parents le placèrent en apprentissage, menuisier d’abord, puis coiffeur…Mais en chaque endroit, il haïssait l’ambiance, le stress, les critiques… Quand il rentrait au foyer, sifflotant et soulagé, il était bien difficile aux parents de savoir s’il avait été mis à la porte, pris la fuite, ou les deux à la fois.
En 2012, son père lui dénicha un job dans une usine de jouets et de vêtements – son premier emploi, à 27 ans. Mais après quelques semaines, Zhengxuan revint au bercail indigné : on l’avait calomnié, accusé de vol, battu, même. Un tel traitement était dégradant. Pour lui, cette fois, c’en était fini : le travail, c’était bon pour les autres ! Il allait continuer à « grandir » chez papa-maman. Il se mit donc studieusement à prendre ses trois repas par jour, à dormir et à jouer avec son smartphone, tout en réclamant chaque jour ou presque, un peu d’argent pour aller s’amuser en ville.
Il l’ignorait encore, mais tout a une fin, même la patience et la force physique des parents. Simple migrant du Hubei, son ouvrier de père avait depuis longtemps tiré un trait sur tout rêve de voir l’héritier donner à ses parents l’orgueil d’une belle carrière et d’un soutien de leurs vieux jours, en échange de leur vie passée à le soutenir. Sa mère aussi s’était lassée de voir à heures fixes cette mauvaise graine s’asseoir à sa table, rappel vivant de l’échec de toute leur existence.
En 2014, après 10 ans de disputes larvées, la crise éclata : le père le mit à la porte. Zhenxuan rétorqua alors d’une manière inouïe, exécutant la menace qu’il méditait depuis tant d’années : au Tribunal intermédiaire de Changsha, devant les greffiers incrédules, il porta plainte contre les auteurs de ses jours. L’argumentation était simple, scandaleuse, mais au fond pas si sotte : leur éducation n’avait pas été la bonne. De ce fait, il se voyait privé des compétences pour gagner sa vie. Eux par contre conservaient leur savoir-faire, l’habitude de gagner leur vie : ils n’avaient donc d’autre choix que de continuer à le soutenir.
Face aux juges, le garçon prouvait sa bonne foi : pour se payer une chambre à 200 yuans par mois et son riz quotidien, il venait d’accepter un emploi pour la seule chose qu’il sache faire, rester immobile en tant que modèle pour les étudiants d’une école des beaux-arts (cf. photo). Mais à 4-5 h par jour de pose, c’était une tâche éreintante, payée une misère (55 à 65 yuans/jour) et fort précaire—on ne le prenait pas tous les jours. Tout cela prouvait à suffisance que c’était aux parents de l’entretenir !
Pour l’opinion sur Internet, l’affaire est claire. Le « canon des trois caractères » (le manuel pédagogique et moral de la dynastie Qing) le dit bien : « si le fils refuse d’apprendre, (子不学, zi bù xué), la faute en revient avant tout au père (父之过, fù zhī guò) » – cette famille si aveuglément éprise du « petit génie », n’a que ce qu’elle mérite.
Cet article a été publié pour la première fois le 18 juillet 2015 dans le Vent de la Chine – Numéro de l’été (2015)
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